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tence la plus immorale, et forment de nombreuses bandes de voleurs. Nous ne savons si le consul n’exagère point l’influence des trade’s unions sur le développement du vagabondage, mais il est certain que ces sociétés, en créant des privilèges au profit de quelques-uns, ne peuvent que pousser au désespoir ou à l’inconduite les jeunes gens qui se voient arbitrairement refuser l’entrée des carrières lucratives.

Nous venons d’étudier la situation matérielle des classes ouvrières chez les peuples les plus différens et dans les circonstances les plus diverses. On a vu les destinées des travailleurs manuels devenir de plus en plus assurées, de plus en plus heureuses, à mesure que le capital s’accroît, que l’éducation se répand et que la sécurité politique ou sociale augmente; mais ce ne sont pas là les seuls agens qui déterminent le taux des salaires; la densité de la population n’est pas indifférente. En Saxe, en Belgique et en Hollande, où il y a excès, la rémunération de l’ouvrier est naturellement faible; en Amérique, au contraire, où les artisans habiles ne sont qu’en petit nombre, leur rémunération prend des proportions étonnantes. Certes ces principes ne sont pas nouveaux, ce sont ceux qu’enseigne depuis longtemps l’économie politique; mais il est utile de les voir confirmer par des informations aussi variées et aussi précises que celles qui nous ont été livrées par les consuls anglais. Une autre conclusion que l’on peut tirer de cette étude, c’est que le développement de la civilisation tend à élever d’une manière continue, mais lente, la rétribution de l’ouvrier. Tout effort pour accélérer par la violence ce cours naturel des choses n’aboutirait point. Un ensemble de grèves qui augmenterait dans chaque métier la rémunération nominale de l’ouvrier sans accroître la production et sans multiplier les capitaux ne conduirait qu’à d’inévitables déceptions. Si les logemens d’artisans se louent en Amérique de 800 à 1,200 francs par an, c’est parce que les salaires des charpentiers et des maçons montent à 3 ou 4 dollars par jour; si les vêtemens, les souliers et tous les articles manufacturés se vendent à des prix exorbitans dans la même contrée, c’est parce que les salaires des ouvriers qui travaillent à ces articles sont excessivement élevés; une seule chose y est à bon marché, la viande, parce que la population y est faible en proportion des immenses quantités de terres cultivées ou qui peuvent l’être. Pour accroître d’une manière effective et non pas seulement apparente le taux des salaires, l’humanité ne saura jamais découvrir d’autre moyen que de produire davantage. Si l’on veut que chaque famille mange de la viande une fois par jour, il faut de toute nécessité que le pays produise plus de viande. Il faut aussi qu’il produise plus d’objets