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Page:Revue des Deux Mondes - 1871 - tome 96.djvu/693

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n’avons plus trop d’espèces monnayées, et que ce qui en reste est indispensable. « Mais, dit-on, elles ne circulent pas, elles se cachent, il faut bien les remplacer par un autre instrument d’échange. » C’est la raison que l’on donne toujours lorsqu’on veut émettre du papier-monnaie. On se figure que, si ce papier est nécessaire à la circulation, et s’il a été émis contre des garanties sérieuses, il ne peut pas se déprécier ; cependant l’expérience démontre qu’il se déprécie, et que la dépréciation augmente à mesure de l’émission, quelles que soient les nécessités. C’est ce qui est arrivé chez nous avec les assignats sous la première révolution, ce qui a eu lieu en Angleterre pendant la suspension des paiemens en 1797, ce qui s’est reproduit dernièrement aux États-Unis, en Russie, en Autriche, en Italie, partout où règne le cours forcé; dans tous ces pays, le papier-monnaie n’a pourtant été émis que pour répondre aux besoins les plus pressans, et il avait la garantie de l’état. Pourquoi se dépréciait-il? Parce qu’il est faux de dire que le papier puise sa valeur dans le besoin qu’on en a.

Le papier-monnaie est un instrument de crédit comme un autre, plus perfectionné, si l’on veut, plus répandu; mais c’est toujours une promesse de paiement qui doit se réaliser en une marchandise d’une valeur réelle, appréciée de tout le monde, à tous les momens, et ayant cours sur tous les marchés. Il n’y a que les métaux précieux qui soient dans ces conditions; aussi ont-ils été choisis comme instrumens d’échange et pour être les équivalens de tous les produits. On aura beau s’ingénier de toutes les manières, on ne fera pas que le papier remplace complètement le métal. Il peut le suppléer momentanément, aider à l’économiser; mais le numéraire doit toujours se trouver au bout des transactions, car seul il a force libératoire et constitue le paiement définitif. Avec du papier-monnaie garanti par l’état ou par des établissemens de crédit très solides, ou peut avoir une valeur excellente; on n’a pas un instrument de libération absolu, on ne peut pas s’en servir au dehors, et à l’intérieur, avec le cours forcé, il ne circule au pair que si on a l’espérance qu’à une date assez prochaine on pourra l’échanger contre des espèces métalliques. Si cette espérance n’existe pas, le papier-monnaie perd sa valeur. Il la perd d’abord parce qu’il a une circulation restreinte et ne peut traverser la frontière, ce qui est déjà une grande cause d’infériorité vis-à-vis du numéraire, ensuite parce que les garanties sur lesquelles il repose sont en définitive essentiellement variables. Bonnes aujourd’hui, elles peuvent ne plus l’être demain, si on augmente beaucoup l’émission et si l’état succombe sous le poids de ses charges. On a quelquefois conseillé de remplacer le numéraire par du papier portant intérêt, en supposant que celui-ci serait admis de préfé-