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Page:Revue des Deux Mondes - 1871 - tome 96.djvu/735

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funte et l’hérésie ensevelie avec elle. » Il n’y avait plus de troubles nulle part. L’église orientale reposait de cette lassitude de corps qui simule le calme de l’âme, lorsqu’en 448 la querelle de Marie theotocos se réveilla tout à coup comme la flamme d’un incendie mal éteint.

Dans cette banlieue monastique de Constantinople qui formait autour de la seconde Rome comme un pomœrium sacré, où retentissaient jour et nuit les louanges du Seigneur, vivait un archimandrite déjà sur le déclin de l’âge et qui se nommait Eutychès. Le monastère qu’il gouvernait était un des plus considérables, et ne contenait pas moins de trois cents moines. Eutychès y était entré enfant et appartenait à la classe des moines qui, à l’instar de Dalmatius, avaient fait vœu de ne jamais sortir vivans de leur cloître ; mais, comme Dalmatius, il en était sorti pour le service de l’église. Amené au concile d’Éphèse par le désir de défendre la vérité sur l’incarnation, il y avait combattu au plus épais des cyrilliens. Là, il s’était rencontré avec cet ancien avocat de Constantinople, Eusèbe, devenu depuis évêque de Dorylée, qui, après avoir affiché sur les murs de la ville impériale la première dénonciation publique contre l’hérésiarque, était venu coopérer à sa condamnation.

Eutychès n’était pas savant, et ne se piquait guère de l’être. Il connaissait bien les Écritures ; mais, quant à l’exégèse et aux sentimens des pères, il n’en faisait aucun cas, prétendant que, puisque Dieu avait fait un livre, il avait mis dans ce livre tout ce qu’il nous convient d’apprendre, et que c’était à nous de savoir le lire. Malgré cette outrecuidance, qui rappelait beaucoup celle de Nestorius, Eutychès ne revint pas du concile d’Éphèse tel qu’il y était entré : il en revint théologien, et théologien transcendant, à son avis du moins. En repassant dans la solitude du cloître les souvenirs des grandes scènes auxquelles il s’était mêlé avec passion, il lui sembla que le concile n’avait accompli qu’une moitié de sa tâche, et qu’à lui était réservé le devoir de l’achever. Le concile avait condamné en Nestorius une doctrine qui faisait prévaloir l’humanité dans la personne de Jésus-Christ, mais il n’avait pas défini suffisamment le mystère de l’Incarnation, il n’avait pas dit quelle part incombait à la divinité dans l’union des deux natures du Sauveur, et surtout il n’avait pas spécifié le caractère de son humanité. Tels étaient les reproches qu’Eutychès faisait à l’assemblée d’Éphèse ! et il se flatta de remplacer cette œuvre incomplète par un système plus complet, puisé dans un ordre d’idées plus élevé.

Se mettant à l’opposite de Nestorius, il exagéra la divinité dans la personne du fils de Marie. Suivant lui, non-seulement le Verbe divin, hypostase de la Trinité, avait pris une seconde génération dans le sein de Marie ; mais les élémens de cette seconde génération