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et à ce flot, à cet océan qui avance, vous voulez opposer quoi ? une réunion de quelques privilégiés dont le principal titre au pouvoir dont ils disposent est qu’ils sont riches et vieux. Une semblable théorie est jugée aujourd’hui. Il ne faut pas admettre que la richesse ait un intérêt distinct de celui de la nation, ni lui accorder de ce chef une représentation spéciale ; nulle part on ne la défendra plus efficacement que dans la chambre basse.

On a prétendu aussi qu’une chambre haute était un boulevard nécessaire pour le trône et pour la société. On ne peut plus se faire cette illusion. La chambre des pairs et le sénat ont-ils retardé d’une minute la chute de Charles X, de Louis-Philippe et de Napoléon III ? « La chambre des pairs, a dit M. Duvergier de Hauranne, n’a ni sauvé ni perdu le gouvernement de Louis-Philippe, par une raison fort simple, c’est qu’elle n’existait pas. » Et en effet une ligne insérée au Moniteur a suffi pour faire disparaître une institution sans racines dans les mœurs, sans fondemens dans l’organisation sociale. Quant au dernier sénat, il y a plus encore, nul ne peut dire comment il a cessé d’exister. Une chambre aristocratique en temps ordinaire est un grand danger, parce qu’elle suivra et fera suivre par la couronne une politique rétrograde ; elle provoquera ainsi les révolutions, et au jour du péril, comme moyen de défense, elle sera nulle, l’expérience l’a démontré.

Les raisons invoquées d’ordinaire en faveur d’une chambre unique sont également sujettes à révision. Voici la principale, elle est de Sieyès : « la loi est la volonté du peuple, un peuple ne peut pas avoir en même temps deux volontés différentes sur un même sujet ; donc le corps législatif, qui représente le peuple, doit être essentiellement un. » Dans un excellent travail consacré à cette question dans la Revue, M. Laboulaye a répondu que la loi serait toujours une et représenterait la volonté du peuple, quel que soit le mode employé pour la constater. Cette réponse est insuffisante ; il faut attaquer l’erreur jusque dans sa racine, et c’en est une très dangereuse de dire que la volonté du peuple est la loi.

En toutes circonstances, il y a un règlement qui est le plus conforme à l’intérêt général, et il y a une résolution à prendre qui est la meilleure ; c’est ce règlement qu’il s’agit de découvrir et de proclamer sous forme de loi. C’est affaire de science, non de volonté. Si l’on veut avoir un bon gouvernement, il faut organiser le pouvoir législatif de façon qu’il puisse découvrir la loi, et non rechercher la volonté populaire. Sans doute, quand le peuple a quelques lumières, il faut que les pouvoirs sortent de son élection, parce qu’autrement ils favoriseraient les privilégiés, ce qui serait contraire à la justice ; mais, une fois constitués, ces pouvoirs ont pour