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III.

Autant l’archimandrite mit d’activité à provoquer l’annulation de sa sentence, autant l’archevêque en déploya pour la faire exécuter. Il somma le condamné de quitter immédiatement son couvent, et comme les moines se mutinaient, comme ils refusaient de souscrire à la déposition de leur supérieur, Flavien les frappa de l’interdiction des mystères sans dissoudre toutefois leur communauté, de sorte que, sans cesser d’être liés par la discipline monastique, ils ne pouvaient ni assister aux offices, ni communier, ni recevoir la sépulture chrétienne chez eux ou ailleurs ; puis il mit le séquestre sur leurs biens, qu’il fit administrer par l’économe de son église. Le pape alors assis sur le siège de Saint-Pierre était un des plus illustres évêques qui aient gouverné cette première des églises ; il s’appelait Léon, et méritait, par son sens pratique des choses non moins que par sa science théologique et ses sentimens de patriote romain, que la postérité attachent à son nom le titre de grand. Ce qui venait de se passer à Constantinople l’effraya, et il blâma Flavien de sa précipitation à commencer un procès de cette nature. « Il peut, disait-il, en sortir une flamme qui mettra le monde en combustion comme naguère le procès de Nestorius. » Eutychès, en lui transmettant son appel, avait essayé de justifier sa doctrine, et cette justification avait suffi pour que Léon le jugeât un homme ignorant, vaniteux, mais facile à ramener à la vraie foi sans scandale ni bruit. — Il chercha donc à dissuader l’empereur de la réunion d’une assemblée œcuménique, laquelle, à son avis, ne ferait que troubler l’église et jeter le désordre dans l’empire ; mais ces sages conseils ne furent point du goût de la cour. Chrysaphius tenait au concile œcuménique pour plus d’une raison : d’abord il voulait donner une revanche solennelle au grand docteur, son père en Dieu, puis il voulait abattre l’archevêque qu’il détestait, et enfin il donnait satisfaction par là aux sentimens de Théodose, converti par lui-même à la nouvelle doctrine, et qui se croyait maintenant eutychien de conviction, comme jadis il s’était cru nestorien. L’impératrice Eudocie ne poussait pas moins vivement à la convocation du concile. Ramenée au palais impérial par l’entremise de Chrysaphius et rendue à son rang, elle s’était jetée dans toutes les intrigues de la cour à la suite de son protecteur. La spiritualité des conceptions d’Eutychès plaisait d’ailleurs à son imagination poétique, et la théologie savait la distraire de ses chagrins.

Au surplus, cette convocation devint bientôt une nécessité par le tapage qu’on fit autour d’elle. L’archevêque ne ménageait rien pour se fortifier, entrevoyant une lutte terrible avec la cour. Il pu-