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dépeçait à volonté : la Prusse, avec sa « mission providentielle » poursuivie avec une âpre persistance, a fini par prendre sa place. La Pologne était un puissant royaume quand la Russie était un camp tartare : la Russie a dévoré la Pologne. Elle a eu l’esprit de suite dont son infortunée victime a complètement manqué. Voilà ce que nous enseigne l’histoire. Les pays qui adoptent des institutions démocratiques doivent donner une large part du gouvernement à un corps possédant cet esprit qui fait la force des aristocraties, sinon ils ne pourront tenir tête aux états conduits par des cabinets qui poursuivent avec persistance les mêmes visées. Les États-Unis peuvent en ce point servir de modèle. Leur sénat a montré autant de perspicacité, de sagesse, d’habileté, que les cabinets européens.


III

Comment constituer la chambre haute ? Plusieurs publicistes éminens ont proposé d’en faire nommer les membres par les conseils-généraux des départemens, et cette idée semble avoir obtenu de nombreuses adhésions. C’est le système en vigueur en Hollande, et il y donne de bons résultats. Seulement il ne faudrait limiter le choix des conseils par aucune condition de cens ou de résidence ; ils auraient le plus grand intérêt à se faire représenter par des hommes éminens jouissant d’une grande autorité, et il faut qu’ils puissent les choisir dans toutes les parties du pays et dans toutes les classes de la société. M. Prevost-Paradol a proposé de confier la nomination des membres de la première chambre à des assemblées régionales formées par la réunion des conseillers de plusieurs départemens. Rien de mieux, je pense ; mais je crois qu’ici il faudrait aussi employer un des moyens indiqués plus haut pour assurer la représentation des minorités. Il est essentiel que les hommes les plus distingués du parti radical entrassent dans la première chambre. Elle n’aura d’influence réelle que si elle ne prend pas un caractère exclusivement rétrograde, et si toutes les grandes opinions y sont représentées et y luttent. Il y faut la même vie, le même éclat que dans l’autre chambre, sinon elle ne sera qu’un rouage inutile comme le sénat et la chambre des pairs. Aux 150 membres environ élus par les assemblées régionales, il faudrait adjoindre un même nombre de représentans des grands intérêts, des corps constitués, de certains services publics, de tous les centres organisés de la vie intellectuelle et économique du pays. Ainsi les chambres de commerce, l’université, le barreau, l’Institut, le corps médical, les généraux au nom de l’armée, les officiers de vaisseau au nom de la marine, la diplomatie, nommeraient un certain nombre de