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après avoir été un des auteurs du compromis pacificateur de la Hongrie, a présidé pendant cinq ans avec succès le cabinet de Pesth.

Ce qu’il y a de significatif, de caractéristique dans les derniers changemens accomplis à Vienne, c’est en effet cet avènement du comte Andrassy à la direction des affaires communes de l’empire. Depuis le prince Félix Schwartzenberg, aucun homme d’état peut-être n’a excité autant d’espérances ou donné une plus haute idée de sa valeur politique. Le comte Jules Andrassy est jeune encore, brillant et populaire dans son pays. Par ses manières autant que par la supériorité de son esprit, il exerce autour de lui une véritable fascination. Sous un extérieur de dandy et de grand seigneur, il cache une volonté forte, une nature bien trempée, une sagacité à la fois hardie et précise. Quand même il n’y aurait pas entre le comte de Beust et le comte Andrassy toute la différence de l’Allemand et du Magyar, on ne pourrait imaginer encore un plus frappant contraste que celui de ces deux hommes. M. de Beust était le vrai type du diplomate avisé, du politique à expédiens, se plaisant aux demi-mesures et aux atermoiemens, évitant toute résolution tranchée. Le comte Andrassy est au contraire un caractère fort entier, un homme de décision qui ne craint pas d’aller droit au but sans se préoccuper des obstacles. Il a une certaine hauteur de franchise qui n’est point sans doute de la ruse ou du calcul, comme chez M. de Bismarck, mais dont il sait au besoin se faire une force de plus, et il se peignait lui-même tout récemment en disant à ses amis du parti Deak, dont il prenait congé à Pesth : « Je ne suis pas de ceux qui croient que la parole a été donnée à l’homme pour déguiser sa pensée ; je n’ai qu’une parole pour tout, je la dis quand je vois clair, quand je suis convaincu, et je ne change plus ; je me tais dans le cas contraire. » Le comte Andrassy joint à ces traits de caractère une grande confiance en lui-même et du bonheur. Il n’en faut pas plus pour expliquer la confiance illimitée que le parti Deak avait mise en lui, et qui pendant cinq ans ne s’est pas démentie.

Que fera-t-il maintenant de ces qualités supérieures dans la situation nouvelle où il est placé ? Quelle direction imprimera-t-il à la politique autrichienne ? Il faudrait d’abord savoir dans quelle mesure le comte Andrassy a été mêlé aux pourparlers de Salzbourg, aux négociations engagées pour amener un rapprochement entre l’Autriche et l’Allemagne. Dans ses récentes circulaires diplomatiques, le nouveau ministre de François-Joseph déclare avec netteté que rien n’est changé dans la marche des affaires de l’empire, que ce qu’il poursuit c’est la paix. Au fond, il n’y a pas à s’y tromper, surtout en France, le comte Andrassy dit vrai quand il affirme qu’il veut la paix, et par son origine, par sa manière d’entendre les intérêts de la Hongrie, par ses idées politiques, il est peut-être conduit à moins avoir de préjugés que n’en ont les vrais Autrichiens contre un système de bonne intelligence avec l’Allemagne.