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vicissitudes : elle a beaucoup appris depuis un an ; même avant l’époque où ce don Juan régnait sur son cœur, elle en savait plus qu’elle n’en voulait dire. C’est du moins ce qu’elle réussit à persuader à son ancien amant avec l’aide de Lebonnard, — encore un ami des femmes. Ensuite ils lui persuadent avec non moins de succès qu’elle est tout à fait digne de son estime. Entre ces deux persuasions entièrement opposées, Cygneroi se trahit et propose à la comtesse un voyage à Paphos (textuel). Quand il est tiré définitivement de son erreur, il change d’itinéraire ; il se met en route non pour Paphos, mais pour rentrer dans son ménage : « S’il s’agit de vivre avec une femme honnête, dit-il, je n’ai pas besoin de Mme Lydie, j’ai la mienne. » Voilà la pièce.

Cette petite comédie consiste en des aveux fictifs, en des confidences mensongères. Ce mot seul prouve que l’invention n’est pas nouvelle ; nous avions déjà l’emploi de ce moyen dans une comédie suffisamment connue, les Fausses confidences. Il montre aussi par le rapprochement à quel point un homme d’esprit et de conceptions quelquefois originales peut renverser les traditions les plus sûres, les plus indispensables de l’art et de la morale du théâtre. Dans les Fausses confidences, un valet sert les intérêts de son maître en racontant à celle qu’il aime des histoires faites à plaisir. Dans la Visite de noces, un ami des femmes, ce qui très souvent ne vaut pas beaucoup mieux qu’un valet, forge des récits trop cyniques et par malheur trop vraisemblables pour rendre un service assez inutile à une femme qui n’a rien à espérer, rien à désirer, si ce n’est de se convaincre une fois de plus qu’un homme qui ne veut pas d’elle est purement vicieux.

Quelle que soit la distance entre l’auteur des Fausses confidences et celui de la Visite de noces, le hasard d’une ressemblance dans les moyens employés n’est pas l’unique motif du rapprochement que nous venons de faire. Comme Marivaux, M. Dumas ne connaît d’autre sujet que les femmes ; mais à la place des Aramintes et des Silvies, il a mis les Marguerite Gautier et les Albertines. Marivaux faisait la métaphysique éthérée de l’amour, M. Dumas en fait la chimie ; on trouve dans la Visite de noces une tirade sur la mixture de l’adultère qu’on nous exemptera de qualifier. Il y avait dans Marivaux un certain art de conquérir le cœur et l’esprit des femmes dont les auditeurs allaient-apprendre la tactique. Ce que M. Dumas s’efforce d’apprendre à ses auditeurs est tellement rebutant qu’il faudrait le cacher. Pour tout dire en un mot, tandis que Marivaux analyse le cœur, M. Dumas étudie les mystères du corps ; il a le marivaudage du tempérament.

Il est d’autant plus nécessaire de ne pas ménager à M. Dumas la vérité, que sa bonne foi dans l’erreur nous semble entière. Il unit à bien de la finesse une rare naïveté. Par exemple, nous ne serions pas étonné qu’il s’imagine avec quelque mot mystique purifier de véritables gravelures. On a rarement abusé au même degré des noms sacrés, et en quelle