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un talent vigoureux, quoique sans discernement et sans mesure. D’ailleurs, à bien analyser la grotesque attitude du héros romain, la pensée première en est juste et ne pèche que par une exagération puérile. Mucius étend sa main droite sur le brasier, la jambe gauche en avant, la jambe droite en arrière et croisée sur la gauche, le torse horriblement contourné, l’épaule droite en l’air, la main gauche sur la hanche, où ses doigts s’enfoncent dans la chair. La tête, à la fois arrogante et piteuse, fait une affreuse grimace de la lèvre inférieure, qui n’a pas l’air de dire avec le philosophe stoïcien : « O douleur, tu n’es pas un mal. » M. Captier deviendra peut-être un grand artiste quand à ses facultés d’exécution vraiment vigoureuses il saura joindre un peu d’esprit, un peu de bon sens, et cette crainte salutaire du ridicule qui est pour les artistes trop audacieux le commencement de la sagesse.

La statue de Mirabeau par M. Truphême est d’un effet assez puissant, bien que vulgaire et d’une emphase triviale. Le grand orateur fait un pas en avant, le bras étendu, la tête rejetée en arrière d’un air de dédain foudroyant. Son attitude respire la force plutôt que le génie. La composition, frappante de clarté, est cependant imparfaite et négligée. Sur quatre côtés, elle n’a que deux aspects satisfaisans, la vue de face et la vue de gauche ; des deux autres, elle est plate et commune, sans harmonie dans les lignes, sans intérêt dans l’exécution des détails. Un disgracieux habit à la française pèse lourdement sur les épaules et tombe mollement le long du corps par grands plans épais et raides qui ne laissent pas soupçonner les formes. M. Truphême doit avoir étudié cette draperie sur un mannequin d’atelier plutôt que sur le modèle vivant. Les jambes, auxquelles je ne reprocherai pas d’être trop courtes, quoiqu’elles soient en disproportion visible avec le buste, sont d’un dessin plat et grossier. Ce qui manque le plus à ce Mirabeau, c’est la noblesse ; on ne reconnaît pas le Jupiter tonnant de l’assemblée constituante, l’homme dont le geste, le regard et l’éloquence transfiguraient la monstrueuse laideur. Ce n’est qu’un Mirabeau moderne, un clubiste criard revêtu de la défroque du grand homme. La recherche systématique du réalisme ne fait pas toujours rencontrer la réalité vraie.

Un homme d’un vrai talent, M. Frémiet, n’obtient malheureusement cette année qu’un franc succès d’hilarité. L’Homme de l’âge de pierre est cependant un travail sérieux. Notre primitif ancêtre se rapproche peut-être un peu trop de la brute ; mais on ne pouvait s’attendre à lui trouver la physionomie spirituelle et l’air distingué. Tout le corps est modelé avec une rare et brutale vigueur ; il danse ou plutôt il bondit sur place comme un animal sauvage, et, n’en déplaise aux rieurs, le mouvement de cette danse