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salutaire. Allez au-delà, essayez de faire des œuvres d’art des traités de morale en action, vous serez froid, vous manquerez le but, — observation qui trop souvent trouve à s’appliquer au luxe public à l’époque révolutionnaire. Cette époque s’exagère trop aussi la puissance de l’état ; elle lui attribue le pouvoir, qu’il n’a pas, de régénérer l’art. Sans doute l’état influe sur les arts par cela seul qu’il les stimule et les récompense. Il n’en est pas moins vrai que l’état a peu de prise sur les âmes. Il développe jusqu’à un certain point les talens, il ne saurait les créer ; le meilleur encouragement qu’il puisse encore leur accorder, c’est de les laisser libres.

On peut suivre comme à la trace cette intention d’imprimer à l’art un caractère plus moral, plus national aussi. Un tel idéal n’a-t-il pas son expression assez exacte dans le vrai peintre de cette époque, David ? Qui contesterait l’élévation à l’auteur de la Mort de Socrate ? Qui nierait l’inspiration nationale du peintre du Serment du jeu de paume et de plusieurs de nos grandes batailles ? Ce qu’il y a chez lui de raide et de théâtral ne fait qu’achever la ressemblance avec les traits dominans de la révolution pendant la période conventionnelle. La théorie de David est conforme à sa pratique. Il l’exprime dans un rapport sur le jury des arts, cette institution démocratique que la révolution inaugura en prenant pour base, tel était du moins son désir, le mérite et l’élection. « À cette époque, écrit David, les arts doivent se régénérer comme les mœurs, » et il laisse voir ce qu’il entend par cette régénération. On retrouve la même pensée dans le rapport du conventionnel Bouquier. La convention avait rattaché les arts au comité d’instruction publique. Bouquier, organe de ce comité, chargé de rédiger le projet de décret relatif à la restauration des tableaux et autres monumens formant la collection du Muséum national, ne doute pas non plus que de la révolution datera l’ère de l’art renouvelé. La forme qu’il donne à cette sorte de proclamation a beau être emphatique et de mauvais goût ; l’inspiration dominante garde son caractère et sa force. Des sujets qui relèvent les courages, qui honorent les mœurs, qui fassent aimer l’humanité, et dans l’exécution un style mâle et nerveux, voilà ce qu’il recommande.

C’est sous les auspices de ces pensées réformatrices que s’ouvre le grand musée du Louvre. La constituante en 1791 avait désigné ce magnifique palais pour en faire la demeure des arts. Une foule de richesses s’y donnèrent rendez-vous : œuvres de toute origine, venant les unes des biens confisqués, les autres du cabinet du roi ou des maisons royales, plus tard du palais de Versailles. Les trésors conquis à l’étranger y ajoutaient bientôt de nouveaux chefs-d’œuvre. La convention mettait en outre 100,000 francs par an à la disposition du ministre de l’intérieur pour acheter les œuvres