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un avant-goût. — Le souffle généreux et vivifiant de 1789 passait sur la première fête de la fédération du 14 juillet. Pourquoi y aurait-on senti l’effort, la contrainte ? La confiance était dans les cœurs. On ne craignait pas de marier aux emblèmes nouveaux les emblèmes antiques de la monarchie. Les pompes de la religion, qui n’avaient jamais paru avec plus de splendeur, semblaient sanctifier et célébrer les conquêtes de l’esprit humain et les victoires de la liberté ; on ne tenait pas compte de quelques nuages. Pourquoi ne se dissiperaient-ils pas comme ces nuages du ciel qu’un beau soleil avait dissipés vers le milieu de cette journée, qui se terminait radieuse ? Dans la seconde fête de la fédération, on ne retrouvera plus ce naturel, cette sérénité. Les signes qui rappellent les rancunes, les divisions, s’y rencontrent fréquemment. Un arbre de la féodalité, couvert d’insignes dérisoires, en fait un des ornemens principaux. Le roi refuse d’y mettre le feu. Dans cette fête brillante encore, combien d’emblèmes alarmans, de pronostics menaçans, de présages de latte et de mort !

Ce qu’il y a de factice, de violent, de forcé dans les fêtes politiques de la convention, il n’est pas nécessaire de le rappeler. Où est-il, cet enseignement moral tant exalté ? Sans doute l’intention s’y trouve de temps à autre : elle est dans ces cortèges d’enfans, quelquefois des enfans abandonnés, dans ces couronnes de vieillards qu’on veut honorer publiquement ; mais cela même ne manque-t-il pas trop de la condition que rien ne remplace, la naïveté ? Certes, toutes les fois que la passion politique n’est pas seule en jeu, ce qui est bien rare, on fait une place à la pitié, à l’humanité : certains détails en portent un touchant témoignage ; mais en général ces fêtes ne respirent que les passions de l’heure présente. Telles réveillent les idées les plus sombres, quelquefois des impressions d’une violence féroce. Quelle fête par exemple que celle du 27 août 92, consacrée aux morts du 10 août ! Non, jamais sous la forme d’une fête il ne se cacha plus d’appel à la haine. Nul attendrissement, nulle pitié ! Ces morts du 10 août, on ne les pleure pas, on veut les venger. Tout est noir et sanglant. Sergent est l’ordonnateur de la fête ; il y a mis une inspiration pleine de terreur. Ce ne sont que prodigieux entassemens de sarcophages énormes tendus de noir. Ces veuves et ces orphelins vêtus d’une robe blanche avec une ceinture noire, ces bannières, ces inscriptions lugubres, provocatrices, qui vingt fois répètent le mot massacre, énumérant tous les massacres des patriotes imputés aux royalistes, — ces statues colossales de la Liberté, de la Loi, farouches, armées de glaives, qu’entourent les tribunaux, le tribunal du 17 août et la commune, — ces chants funèbres, ces flots d’encens, cette musique aux accens tristes, déchirans, à quoi tend toute cette mise en scène, sinon à