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Autrefois les paysans en jouissaient en commun moyennant des prestations en travail au profit du seigneur. L’acte d’émancipation de 1861 en a attribué la propriété exclusive à ce dernier, à tort, semble-t-il, car dans l’origine bois et prés appartenaient au mir. Dans les terres de la couronne, où l’espace ne manque pas, le mir garde ordinairement en réserve une partie du terrain, afin de pouvoir toujours doter les nouveaux ménages qui se forment, et en attendant ces lots libres sont donnés en location. On rend ainsi moins fréquente la nécessité d’un nouveau partage.

Sur les domaines de la couronne, le partage se fait d’après le nombre d’âmes. On fixe un certain nombre de dessiatines[1] par tête, et chaque père de famille obtient autant de parts qu’il a d’individus avec lui. Sur les terres dépendant naguère des seigneurs, le partage se fait par tiaglo. Le sens attaché à ce mot tiaglo, qui représente l’unité de travail[2], varie. Autrefois on entendait par là un groupe de deux ou trois travailleurs dans chaque famille ; aujourd’hui on désigne par ce mot chaque couple marié, de sorte que, si plusieurs couples habitent la même maison et travaillent ensemble, chacun d’eux a droit à une part. Dans le premier système, la répartition se fait donc par tête, dans le second système ou par ménage ou par travailleur adulte. Les nombreuses parcelles assignées à chaque ménage étant toutes entremêlées, il en résulte que toutes doivent être cultivées en même temps et consacrées au même produit. C’est ce que les Allemands appellent flurzwang ou « culture obligée. » Un tiers du sol arable est en céréale d’hiver, seigle ou froment, un tiers en avoine et un tiers en jachère. Chaque famille laboure, ensemence et récolte à part et pour son propre compte, mais rien n’indique la séparation des parcelles. Tout le segment occupé par l’une des divisions de l’assolement triennal parait ne former qu’un seul champ. Il faut faire à la même époque les différentes opérations agricoles, parce qu’à défaut de chemins et d’issues nul ne peut arriver aux parcelles qu’il exploite sans passer sur celles du voisin. C’est l’assemblée des habitans de la commune qui décide les époques de

  1. Le dessiatine équivaut à 1 hectare 9 ares.
  2. Sous le régime du servage, l’unité de corvée à effectuer ou de prestations à payer au profit du seigneur était le tiaglo. Ce mot, qui vient du verbe russe tianut, tirer, de même étymologie que l’allemand ziehen, signifie « celui qui tire, » c’est-à-dire qui traîne la charrue, qui laboure. Le seigneur avait intérêt à multiplier les tiaglos, puisque chacun d’eux lai devait un certain nombre de jours de travail par semaine. Les familles patriarcales qui réunissaient sous le même toit plusieurs ménages représentaient plusieurs tiaglos, suivant le nombre de bras aptes au travail dont elles disposaient. La corvée due au seigneur se répartissant par tiaglo, il était naturel que la terre fût répartie dans la même proportion.