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d’argent, de faire sortir une pareille flotte d’arsenaux dont la création venait seulement d’être décidée, ce fut l’étranger que le gouvernement allemand chargea de lui fournir rapidement le matériel inscrit à son budget. A l’Arminius, seul navire cuirassé que possédât la Prusse, et dont les services avaient été utilisés en 1866 dans l’Elbe, tant pour protéger la marche du corps de Manteuffel que pour enlever les batteries hanovriennes de Brunshausen, vinrent successivement s’ajouter plusieurs grandes frégates que l’industrie privée avait mises sur les chantiers pour le compte d’autres puissances européennes. Ainsi les navires que nous verrons jouer un rôle dans la guerre de 1870-1871 étaient tous de provenance anglaise ou française : le Kronprinz et l’Arminius sortaient des docks de Samuda à Poplar, le Kœnig-Wilhelm était un produit de la Thames Iron works company, le Prince-Adalbert avait été construit à Bordeaux, le Frédéric-Charles acheté aux forges et chantiers de la Méditerranée ; les chantiers Arman avaient fourni l’Augusta ; c’était du Havre, de chez M. Normand, que provenait le Grill. Les cinq cuirassés seuls représentaient une dépense de 33 millions, répartie sur les exercices budgétaires de 1866, 1867 et 1868. A partir de 1871, les arsenaux allemands devaient être en mesure de construire à la fois huit cuirassés, et déjà en 1870 quatre de ces navires se trouvaient sur les chantiers : la Hansa à Danzig, la Prusse à Stettin, le Frédéric-le-Grand à Kiel et le Grand-Electeur à Wilhelmshaven. Il manquait, il est vrai, une grande partie de l’outillage nécessaire aux réparations : pour nettoyer leurs carènes, les frégates nouvellement achetées en étaient réduites à faire usage des bassins anglais ; mais, en songeant au court espace de temps écoulé depuis le traité de Prague, on était obligé de reconnaître qu’aucun effort n’avait été négligé par l’Allemagne pour faire de la confédération une grande puissance maritime, et que, si différens obstacles restaient encore à surmonter, ces obstacles n’avaient, relativement au résultat obtenu, qu’une importance secondaire.

Au mois de juillet 1870, lorsque surgirent les difficultés relatives à la couronne d’Espagne, aucun préparatif militaire n’avait eu lieu dans les ports de France. L’escadre de la Méditerranée, forte de six navires cuirassés, faisait son voyage d’été ; les trois frégates qui composaient la division de la Manche étaient au mouillage de Royan. Du côté des Allemands, leur flotte, partie de Kiel pour effectuer une promenade maritime dans l’Océan, se trouvait sur les côtes d’Angleterre ; elle comptait au mouillage de Plymouth trois frégates cuirassées, et à Darmouth un monitor que le commandant en chef y avait expédié. La guerre devenant imminente, elle ne perd pas un instant pour aller chercher refuge dans les eaux de la Jahde ; son