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qui en profitaient excita la colère et le fanatisme des novateurs, et ne contribua pas peu à les pousser dans la voie révolutionnaire où ils étaient entrés sans s’être assigné un but précis. Les excès, les extravagances de plusieurs des apôtres de la réforme ne firent que fortifier davantage les défenseurs de Rome et de l’orthodoxie dans leur attachement au passé. Les mauvaises passions intervenaient, et les haines allumées par les violences auxquelles on se laissait aller de part et d’autre rendaient la conciliation de moins en moins possible. Le mal n’était pas circonscrit à la seule Allemagne, où avait éclaté l’incendie ; il s’étendait partout où l’église était l’objet des mêmes plaintes, où le régime féodal dégénéré croulait au milieu de la confusion qu’il avait introduite. Le clergé ayant dans les diverses contrées de l’Europe une organisation à peu près identique, la guerre qui lui était déclarée au-delà du Rhin ne pouvait demeurer une question, exclusivement allemande ; elle prenait un caractère quasi européen. La propagande des doctrines nouvelles se faisait d’un pays à l’autre, et, atteinte de la contagion à des degrés divers, partout la société se trouvait en péril. L’esprit réformateur, qui était pour le XVIe siècle ce que nous appelons aujourd’hui l’esprit révolutionnaire, se manifesta donc à cette époque avec une intensité presque égale à celle qu’on lui a vu prendre de nos jours. En quelques années, les novateurs furent entraînés jusqu’aux dernières limites du radicalisme politique et religieux, et ce que les utopistes contemporains proclament au nom de la science, les apôtres les plus avancés de la réforme le proclamaient au nom de Dieu. Il s’éleva de véritables écoles socialistes, aussi confiantes dans leurs systèmes, aussi impérieuses dans leurs prétentions, aussi dépourvues de sens pratique dans leur façon de procéder. Elles n’aboutirent qu’à investir pour un moment d’une autorité tyrannique des hommes qui n’avaient aucun titre pour commander, qu’à répandre la désolation et la terreur ; elles compromirent le travail d’épuration et de moralisation qu’essayaient des cœurs honnêtes, et firent redouter, détester même la liberté, parce que c’était à son ombre qu’avaient grandi les fauteurs de tant de désordres.

L’histoire de ces folles tentatives pour réaliser dans la société une égalité chimérique et refaire la religion et les lois sans tenir compte de l’action des passions humaines est trop oubliée parmi nous ; il est bon d’en remettre sous les yeux les faits les plus saillans. La guerre des paysans, la révolte des anabaptistes de Münster, acquièrent, par les événemens auxquels nous avons assisté, un intérêt nouveau ; elles nous fournissent de salutaires leçons dont peuvent profiter tous les partis.