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même voie. Plusieurs groupes professionnels de Paris, notamment les tailleurs et les tapissiers, ont déjà ouvert des cours de dessin spéciaux pour leur industrie.

Le développement des associations ouvrières amènera nécessairement de grands progrès dans l’organisation de l’enseignement professionnel. Depuis longtemps c’est une plainte générale que l’apprentissage disparaît, que les ouvriers habiles manquent, que l’extrême division du travail et le défaut d’instruction technique rendent chaque jour les véritables artisans plus rares. Les classes laborieuses sentent aussi vivement que les patrons la gravité de ce fait ; leurs inquiétudes à ce sujet sont résumées dans les rapports des délégués ouvriers aux diverses expositions. Partout aussi on cherche le remède, et l’on comprend que l’impulsion de l’état ou même celle des municipalités serait insuffisante sans le concours de l’initiative privée agissant par l’association. Celle-ci pourrait être dans un prochain avenir un puissant instrument de progrès. Le danger des associations serait l’absence de programmes nets, la recherche d’utopies irréalisables qui conduisent aux déceptions, et de là aux violences. Nous avons déjà, dans de précédentes études, indiqué aux unions professionnelles un terrain d’action bien défini où elles pourraient, à l’exemple des sociétés anglaisés, rendre de grands services par la solution amiable des conflits qui naissent entre le capital et le travail[1]. Le domaine que nous explorons aujourd’hui offre se nouvelles ressources à leur activité. Intervenir au nom des intérêts de la profession elle-même dans la protection des enfans employés par l’industrie, — chercher les combinaisons qui, en conciliant les nécessités de la production avec celles de l’éducation, pourraient former à la fois de bons ouvriers et d’honnêtes citoyens, — développer par l’enseignement l’habileté, la moralité, l’intelligence des jeunes ouvriers, et procurer ainsi aux classes laborieuses comme aux capitaux de notables augmentations de revenu, — prouver par la pratique qu’il existe un lien étroit entre la bonne économie du travail et les qualités des travailleurs, n’est-ce pas là un programme assez vaste pour réunir les nombreux amis du progrès, assez positif pour les retenir sur le terrain des saines discussions ? Qui ne sent qu’il s’agit là d’un intérêt de premier ordre, dominant les questions transitoires de la politique et les luttes des partis, qu’en touchant à l’éducation on touche en réalité aux assises de la nation, que former des hommes est l’unique moyen de refaire la grandeur des états ?


EUGENE D’EICHTHAL.

  1. Voyez la Revue du 15 juin 1871 et du 1er janvier 1872.