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ses adversaires, suivant qu’il est de la droite ou de l’extrême gauche. Il y a deux pièces qui forment chacune le couronnement des deux parties de l’œuvre : la Loi de formation du progrès et celle qui commence par ces mots : « terre et cieux, si le mal régnait… » Dans la première, l’âme du poète souffrant des maux que tout le monde supporte, mais soumise aux décrets d’en haut, qui ont voulu que la France fût vaincue, peint d’une image le progrès, le seul qui soit accordé à la terre, un escalier tournant que les hommes gravissent, et qui les fait passer tour à tour dans l’ombre et dans la lumière. Dans la seconde, le mal est le passé, c’est-à-dire tout ce qui ne plaît pas à ses amis, tout ce qui ne plaît plus au poète. Si le mal ainsi défini devait triompher, Dieu serait « le scélérat divin, » il faudrait le mettre « au pilori de l’univers. » Et voici qui nous attriste au moins autant que ces folies. Rappelant sans le vouloir je ne sais quel insensé qui menaçait dans un club d’escalader le ciel, le rappelant tout ensemble par la valeur de la pensée et de la parole, il écrit ces vers :

J’irais, je le verrais, et je le saisirais
Dans les cieux, comme on prend un loup dans les forêts,
Et terrible, indigné, calme, extraordinaire,
Je le dénoncerais à son propre tonnerre.


Il serait plus raisonnable de nier Dieu que de l’affirmer de cette façon et dans des vers dont la qualité est déjà un commencement de châtiment céleste. Nous conseillons au lecteur de faire comme nous, de feuilleter ce livre et d’en appeler, de M. Hugo le politique jetant feu et flamme, à M. Hugo le poète, vrai, naturel et humain.

Les deux perles de ce recueil sont les deux morceaux A petite Jeanne et A l’enfant malade. Lorsqu’on réfléchit à tant de circonstances significatives : les étrangers seuls s’unissant dans un concert de louanges, la voix publique tirant de la foule de ces poésies deux ou trois pièces qui sont belles par elles-mêmes, sans le secours de l’estampille politique ; quand on songe à tout cela, on cherche quel avertissement a pu manquer à M. Hugo, et s’il ne voit pas clairement que le poète fait fausse route en se mettant à la suite de l’homme politique. Ici nous retrouvons entièrement l’auteur de tant d’œuvres consacrées aux joies de la famille, le poète lyrique français que rêvaient ceux que notre vieille lyre classique laissait froids et mécontens. Le premier de ces petits chefs-d’œuvre est d’un souffle plus élevé ; mais le second est d’une grâce plus pénétrante, ciselé d’une main plus sûre, et il a sur l’autre l’avantage considérable de la strophe, forme suprême de la poésie, celle qui trahit d’ordinaire une main sur laquelle ont passé les nombreuses années.