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Architecture antique de la Sicile. — Recueil des monumens de Ségette et de Sélinonte, 1 vol. de texte in-quarto et un atlas in-folio. Donnaud, 1870-72.


Qui de nous ne se rappelle, s’il l’a seulement abordé une fois, le savant et bienveillant Hittorff ? Plus que septuagénaire, il semblait n’avoir pas plus vieilli de corps que d’intelligence, de mémoire et d’ardeur. On eût dit d’un artiste au début d’une éclatante carrière, tant il avait de projets à exécuter, de nouveaux résultats à démontrer, toujours au niveau de son temps, sans se laisser attarder ni retenir en arrière. Cependant il était chargé d’années et de travaux, et ses brillans succès avaient commencé de très bonne heure. Comme il avait devancé l’âge ordinaire du labeur fécond, de même il aura dépassé par sa belle publication sur Ségeste et Sélinonte, accomplie grâce aux pieux soins de son fils, la limite marquée par la tombe. C’est bien lui, c’est bien son esprit et sa main que. nous pouvons ici encore reconnaître, car cet ouvrage était presque achevé lorsqu’il mourut ; son fils était le premier de ses élèves, initié à toutes ses idées, à toutes ses vues, et ce fils, quelque habile et savant architecte qu’il fût devenu lui-même, s’est effacé autant qu’il a pu derrière les traces du travail paternel.

M. Hittorff a terminé sa carrière d’artiste comme il l’avait commencée, en admirateur enthousiaste de l’architecture des anciens Grecs. Il décrit ici dans le plus grand détail tout ce qui reste de plusieurs temples antiques de deux villes siciliennes ; mais il ne se contente pas de faire revivre chacun des fragmens par d’ingénieuses restitutions et par des comparaisons savantes avec les vases peints ou les médailles ; il ne se contente pas non plus de restituer l’histoire et la topographie, double cadre où doivent prendre place les monumens restaurés. De l’étude de ces temples particuliers, il passe à l’étude du temple grec et de l’architecture grecque en général ; de sorte que son livre prend de vastes proportions, et discute certaines questions intéressant tout l’art antique. Il était l’homme des problèmes nouveaux et d’abord contestés. Son nom reste attaché au souvenir de cette opinion tant discutée naguère, mais qui a fait son chemin et semble acceptée aujourd’hui, suivant laquelle les monumens grecs ne se passaient pas de la polychromie. On se rappelle sa lettre d’Agrigente au baron Gérard (1823), qui fut à ce sujet un vrai manifeste et souleva tant d’orages. Dans l’ouvrage sur Ségeste et Sélinonte, M. Hittorff, peu ennemi de la discussion, examine quelques-unes des questions de nature à servir de bases à l’histoire de l’art. Ces sortes d’examens sont toujours intéressans chez lui, pour deux raisons : d’abord parce que, ardent et vif d’esprit, il a toujours une opinion personnelle à défendre et ne s’y épargne pas, et puis parce que sa connaissance parfaite des langues allemande, anglaise, italienne, sa vaste lecture, ses nombreux voyages, ses explorations de toute sorte, lui fournissent en abondance les sujets de comparaison. Rencontre-t-il un point