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palladium de l’état, soit les richesses publiques, archives, trésor, etc., ils restèrent sans doute pendant longtemps désireux de la convier aux mêmes centres avec son cortège ordinaire de marchands et de pèlerins, étrangers ou indigènes. Il est évident que ce fut non pas dans la cella, mais sous les portiques que ce peuple était introduit. Il arriva encore, sans doute afin de conserver d’antiques usages, que l’on réserva au-devant du pronaos un grand espace pour y célébrer les sacrifices et les cérémonies du culte.

Nous avons cru devoir signaler ces vues de M. Hittorff parce qu’elles nous semblent nouvelles ; il en faut suivre le développement dans son livre sur Ségeste et Sélinonte. C’est assurément une ingénieuse idée que de chercher à constituer, à l’aide des périodes architecturales qu’attestent les débris habilement observés, une sorte de chronologie relative non-seulement pour l’histoire de l’art, mais pour celle de la civilisation, des coutumes civiles, des idées religieuses et morales. C’est bien comprendre en particulier le grand rôle de l’architecture, celui des arts qui reflète le plus fidèlement peut-être la vie des nations. Aussi le livre de M. Hittorff est-il de ceux qui n’instruiront pas seulement les artistes, mais que consulteront avec grand profit les littérateurs et les historiens. Ce livre est d’ailleurs une étude raisonnée de la plus majestueuse période de l’ancienne Grèce. M. Hittorff a évidemment beaucoup pratiqué le bel ouvrage d’Ottfried Müller sur les Doriens : c’est la sévère et grave époque dorienne que ses temples siciliens nous racontent. L’enfance de la Grèce était alors comme protégée par l’enveloppe hiératique ; le dieu Apollon était son chef révéré. Il était le dieu de la pure et brillante lumière et aussi celui de l’ordre harmonieux. L’ordre suprême, intellectuel ou moral, politique ou civil, ce que la langue des Grecs rendait par ces mots sans cesse répétés chez Thucydide et Platon, ό χόσμος τό εϋχοσμον, telle était la première et presque l’unique loi du dieu de Delphes contenant toutes les autres. Il prenait pour interprètes soit les poètes, — et Homère ou bien Orphée allaient enseigner en son nom de peuple en peuple, — soit les législateurs, — et Lycurgue ou Solon, munis de ses réponses ou rhètres, se dirigeaient vers Sparte et Athènes, où ils dictaient ses lois. Les premières routes s’ouvrirent en Grèce pour les seuls besoins du culte de l’Apollon dorien : c’était vers Delphes qu’elles convergeaient pour y porter les offrandes. Encore aujourd’hui on peut observer, aux traces subsistantes des ornières sur certains débris de ces routes antiques, que l’écartement des roues était partout le même, la route n’étant faite d’abord que pour le char uniforme qui convoyait les présens sacrés. L’Apollon dorien a été chez les anciens Grecs le promoteur de tous les travaux publics, de toutes les grandes entreprises ; comment ne retrouverait-on pas son influence dans les premiers développemens de l’architecture antique et dans la construction des temples ? Les plus anciens architectes dont les noms aient été conservés et transmis