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et détruire l’égalité primitive. On sait que le communier ne pouvait disposer de sa part que du consentement de ses associés, qui avaient un droit de reprise ; mais ce droit, ils ne pouvaient l’exercer contre l’église. Or, dans ces temps de ferveur, les fidèles léguaient très souvent à l’église tout ce qu’ils possédaient, non-seulement leur maison avec l’enclos, mais la part indivise dans la marche qui en dépendait. Les abbayes et les évêchés devenaient ainsi co-propriétaires des biens communs. Cette situation étant en désaccord complet avec l’organisation agraire primitive, l’église retirait de la communauté les parts qui lui revenaient, les clôturait, tâchait de les arrondir, et les faisait cultiver par des colons ou des serfs. Déjà, vers la fin du IXe siècle, le tiers de toutes les terres de la Gaule appartenait au clergé.

A partir du moment où les travaux agricoles se firent par les colons et les serfs, cultiver la terre fut peu à peu considéré comme une œuvre servile. Les familles riches et puissantes s’en exemptèrent complètement, et les cultivateurs libres perdirent peu à peu en dignité, en considération même à leurs propres yeux. Par suite de l’introduction du christianisme et de l’établissement des monarchies vers le IVe et le Ve siècle, la façon de vivre des hommes libres se modifia profondément. Les guerres de tribu à tribu, incessantes autrefois, devinrent plus rares ; un certain ordre s’établit dans la société. Les habitans des villages ne vécurent plus constamment les armes à la main, et ainsi insensiblement le guerrier germanique se transforma en paysan allemand. Ceux qui avaient des terres cultivées par des colons pouvaient vivre sans travailler. Ils continuaient, eux, à s’exercer au maniement des armes ; ils vivaient de chasse et de guerre comme l’ancien Germain. Ils acquirent ainsi la prééminence que donne la force. Quoique l’Allemagne n’eût pas été conquise, ils arrivèrent à posséder sur leurs compatriotes la même suprématie que les conquérans de la Gaule sur les Gallo-Romains. On ne sait pas encore très exactement comment le cultivateur libre du IIe siècle est devenu le serf du XIIIe siècle ; mais dès que les uns conservaient le maniement des armes, dont se déshabituaient les autres, exclusivement adonnés aux travaux agricoles, les premiers devaient finir par asservir les seconds. Néanmoins ce changement profond ne s’est pas accompli partout en même temps ni de la même manière ; il est des cantons où l’ancienne organisation et la liberté se sont maintenues jusqu’à nos jours.

Le clergé et les nobles possédant plusieurs domaines ne les faisaient pas cultiver pour leur compte ; ils les donnaient en bail à des cultivateurs libres ou à des familles de serfs. Les biens exploités par les premiers s’appelaient mansi ingenuiles, ceux qui l’étaient par les