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d’impôts, n’avaient pas d’autre moyen de rétribuer les services que de concéder des bénéfices, des feods. D’une part les familles qui s’étaient créé de grands domaines par le défrichement et par la fondation de manses ou de fermes, d’autre part les seigneurs bénéficiaires, constituaient une classe supérieure de propriétaires fonciers dont la puissance et la richesse augmentèrent avec les progrès de la civilisation. Néanmoins au-dessous d’eux et parmi les cultivateurs, dont la condition empirait sans cesse, les anciennes institutions de la mark se maintinrent longtemps. La propriété privée s’introduisit, il est vrai, peu à peu pour la terre arable, sauf dans quelques cantons reculés, où le partage périodique persista jusqu’à nos jours ; mais le pâturage et la forêt restèrent en commun et permirent de conserver les institutions administratives de la mark.

De bonne heure, le domaine collectif du village fut exposé aux usurpations des souverains et des seigneurs. Les grandes guerres qui furent la suite des invasions du IVe siècle et la longue durée des expéditions militaires accablèrent les hommes libres. Beaucoup d’entre eux, pour se dérober aux exactions et aux exigences des comtes et des seigneurs, vendirent leurs biens ou les donnèrent, soit au souverain, soit à l’église, pour les recevoir d’eux à titre de terre censive, c’est-à-dire soumise au paiement d’un fermage. La classe des petits propriétaires libres diminua ainsi insensiblement. Du temps de Charlemagne, l’inégalité et l’accumulation des biens en quelques mains étaient déjà très grandes ; les paysans dépendans n’étaient plus en position de défendre efficacement le domaine de la mark contre les envahissemens des puissans. Ceux-ci firent admettre que le domaine éminent de la lande et de la forêt leur appartenait. Déjà la loi des Ripuaires parle des bois communs comme s’ils appartenaient au roi : in silva communi seu regis. Dans un diplôme mérovingien de 724, le roi Childebert III dispose des communaux de Saverne : Les seigneurs firent enclore les forêts ; ou les déclarèrent bannforsten, ce qui en interdisait la jouissance aux cultivateurs. Leur but principal était d’en conserver la chasse. Ces usurpations commencèrent sous les dynasties franques ; mais elles. furent surtout fréquentes au XIIe et au XIIIe siècle. La loi de 1861 qui abolit le servage en Russie enlève aussi d’un trait de plume aux paysans la jouissance héréditaire de la forêt, pour en attribuer la propriété exclusive aux seigneurs.

Dans le principe, tous les habitans du village se réunissaient pour, juger les délits et les procès civils entre communiers, sous la présidence d’un chef élu par eux, le dorfgraf (comte du village, appelé aussi judex ou major loci, centenarius, tunginus). Peu à peu cependant le seigneur usurpa presque partout le droit de nommer