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personnel, puisque le chef de l’état ne cesse pas d’être responsable, il n’y a qu’une simple intervention personnelle, ce qui est tout autre chose, et ce que n’ont jamais interdit les règles du gouvernement parlementaire. Est-ce que, sous tous les régimes libres que nous avons connus, le chef du cabinet n’exerce pas une action personnelle et prépondérante ? Or le président est le premier ministre de l’assemblée, il a la réalité du pouvoir exécutif, et personne ne saurait avoir la ridicule prétention de le réduire au rôle d’un souverain constitutionnel. M. Thiers n’est pas un roi héréditaire, c’est un magistrat électif investi de la confiance du pays, chargé de tout le fardeau et de toute la responsabilité du pouvoir, choisi non pas seulement pour prêter au gouvernement le lustre de son nom, mais pour diriger lui-même les affaires, comme le premier de nos hommes d’état et le meilleur de nos patriotes. Est-ce bien sérieusement qu’on voudrait en faire une sorte de figurant politique, armé d’une autorité illusoire, ou, comme le disait Napoléon Ier dans son langage soldatesque, un cochon à l’engrais L’a-t-on nommé seulement pour s’en servir comme d’une garantie constitutionnelle et le placer au sommet de l’état comme un vieux drapeau au sommet d’un édifice public, flottant au hasard à tous les vents ? Il serait curieux que dans un pays où les rois eux-mêmes ne se contentent pas volontiers de ces fonctions honorifiques, le seul homme qu’on voulût y réduire fût un simple citoyen, l’un des premiers hommes d’état de l’Europe. Souvent dans la monarchie parlementaire, le maintien d’un ministre est jugé indispensable par ceux même qui ne l’approuvent pas en toutes choses et qui ne le suivent qu’à regret : M. Thiers est ce ministre indispensable, et son gouvernement est celui de la monarchie parlementaire, moins le souverain, représenté aujourd’hui par la nation, dont il possède la confiance.

Mais le cabinet n’est pas homogène ; — peut-il l’être quand l’assemblée elle-même est déchirée en quatre ou cinq partis différens ? Mais le président n’y appelle que ses amis ; — veut-en par hasard qu’il y installe ses adversaires ? Mais ses collègues ne lui résistent pas assez ; — n’est-il pas le président du conseil des ministres ? Mais la majorité n’y a pas obtenu sa part ; — est-ce le moment de se livrer à la chasse des portefeuilles ? Mais M. Thiers ne devrait pas menacer l’assemblée de sa démission. — Oui, sans doute, il aurait tort d’abuser de cette menacé ; cependant on ne saurait lui contester le droit de la faire ; il n’y a pas de principes parlementaires qui interdisent à un pouvoir responsable de mettre aux gens le marché à la main. M. Thiers ne donnera pas sa démission parce qu’il se doit à la France ; mais ceux qui l’y provoquent sont cent fois plus coupables. L’espoir des bons citoyens est dans l’union du pouvoir exécutif et