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l’alun, du sulfate de fer, de l’acide sulfurique, de l’acide nitrique, de la potasse, de l’indigo par les procédés en usage dans l’Inde, du bleu de Prusse, s’exécutait sous cette habile et puissante direction. On élevait des vers à soie de Chine, on blanchissait la cire, on raffinait le sucre dans la ville industrielle de Madagascar. M. Laborde avait introduit les paratonnerres, et il en avait fait comprendre à la reine l’utilité.

L’esprit demeure confondu en présence de pareils résultats obtenus à l’aide de sauvages convertis par l’exemple et par une volonté inébranlable en ouvriers habiles. Si la France du XVIIe ou du XVIIIe siècle avait eu à la tête de l’établissement colonial de Madagascar un chef comme M. Laborde, il est permis de croire que le succès aurait été grand. Notre compatriote ne s’est pas signalé seulement par ses travaux industriels ; choisi comme parrain de l’héritier de Ranavalona pour la cérémonie de la circoncision, il a fait l’éducation morale du jeune prince ; les qualités qu’on a reconnues chez Radama II venaient en partie des leçons et des excellens conseils de M. Laborde. Cet homme de bien rencontra cependant un ennemi ; un favori de la reine, ministre tout-puissant, parvint à l’exiler en 1857. M. Laborde avait travaillé vingt-six ans pour la prospérité de son pays d’adoption ; lorsqu’en 1861 il revint à Madagascar, tout était perdu, il ne restait que le souvenir de l’œuvre gigantesque. Aujourd’hui le voyageur qui traverse Soatsimananpiovana contemple des ruines, et, sous l’impression du plus triste sentiment, il se dit que le mouvement et la vie du monde s’arrêtent dès que l’intelligence a disparu.

Après le départ des missionnaires anglais, la cour de Tananarive se montra très décidée à vivre dans un isolement aussi complet que possible. En 1837, sur la foi de certains avis mal fondés, l’amiral Duperré, alors ministre, eut l’idée d’envoyer près de la reine Ranavalona un capitaine de la marine proposer un traité de commerce et d’amitié. L’agent français se convainquit de la ferme volonté du gouvernement de Madagascar de ne se lier en aucune façon avec les étrangers. Les Européens établis sur la côte se plaignaient de vexations incessantes exercées par les Ovas. Deux navires anglais et deux navires français se rencontrèrent en 1838 sur la rade de Tamatave ; sans s*être concertés, les gouverneurs de Maurice et de Bourbon avaient expédié des bâtimens de guerre, afin d’obtenir des réparations. À ce moment, l’alarme ne fut guère moins grande chez les négocians européens que parmi les indigènes ; en cas d’attaque, d’après l’ordre de la reine, les habitations des étrangers devaient être livrées aux flammes. En effet, la nuit, l’incendie s’alluma ; il se serait promptement étendu sans les secours que fournirent les