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littérature et le libre penser ; or, quel qu’en soit l’objet, l’affectation est insupportable. « J’ai dîné aujourd’hui avec une douzaine de savans, et, quoique tous les domestiques fussent là pour le service, la conversation a été beaucoup moins réservée, même sur l’Ancien-Testament, que je ne l’aurais souffert à ma table, ne fût-ce qu’en présence d’un seul laquais. Quant à la littérature, c’est un excellent amusement lorsqu’on n’a rien de mieux à faire, mais elle devient du pédantisme en société, et de l’ennui quand on la professe en public. » Les raisons qu’il donne de son aversion pour cette sorte de sujets méritent qu’on s’y arrête, et sont de tous les temps. « Il n’y a qu’un petit nombre de ces sujets qui m’intéressent, et sur ceux-là ou bien je ne tiens pas à réfléchir, ou bien je tiens encore moins à parler avec des personnes indifférentes. Le libre penser n’est fait que pour soi-même, et certainement pas pour la société. On règle une fois pour toutes sa manière de penser, ou bien l’on sait qu’elle ne peut être réglée ; quant aux autres, je ne vois pas qu’il y ait moins de bigoterie à tenter des conversions contre que pour la religion. » Ce ton de prédicant des philosophes l’exaspère. « Ils ne font que prêcher, et leur doctrine avouée est l’athéisme ; Vous ne pourriez croire à quel point ils se gênent peu ; ne vous étonnez donc pas, si je reviens tout à fait jésuite. Voltaire lui-même ne les satisfait pas. Une de leurs dévotes disait de lui : Il est bigot, c’est un déiste. » Cela ne rappelle-t-il pas, au rebours, cette définition que donnait un abbé de ce temps-là, engagé dans une vive dispute avec un de ses confrères à propos des cinq propositions ? On voulait les mettre d’accord en leur faisant remarquer qu’il y avait au moins un point commun entre eux : c’est que ni l’un ni l’autre ne croyait en Dieu. « C’est vrai, répartit le moine disputeur ; mais lui, c’est un athée moliniste, et moi je suis athée janséniste. »

Walpole ne commet-il pas lui-même quelque méprise analogue à propos de Rousseau, comme la dévote du baron d’Holbach à propos de Voltaire ? Qu’il déteste l’humeur querelleuse de Jean-Jacques, son affectation, ses petits moyens pour conquérir l’admiration ou même l’attention du monde, cet habit d’Arménien sous lequel il promène son ridicule incognito, qu’il se moque de ce voyage en Angleterre en compagnie de Hume auquel il prédit bien des mésaventures, Walpole est parfaitement dans son droit d’homme de goût ; mais je ne vois nulle part qu’il fasse la différence entre Rousseau et les philosophes, qui étaient pour la plupart les encyclopédistes, ennemis jurés de Rousseau. A ses yeux, tout cela est de la même secte. « Je me suis lavé les mains de leurs savans et de leurs philosophes, écrit-il à John Chute ; je ne vous envie même pas Rousseau, qui s’est affublé de toute la charlatanerie de Saint-Germain pour se rendre original et faire parler de lui. » Voltaire, Diderot,