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tarit pas d’éloges. « Cette femme est une merveille de bonnes informations, de bons conseils ; c’est le bon sens parlé. » Il n’est pas jusqu’à son moyen de gouvernement, sa manie de gronder qui ne le ravisse, a Je n’ai jamais aimé à être redressé en face ; eh bien ! vous ne pouvez vous imaginer le plaisir que j’y trouve avec elle ; je la prends à la fois pour confesseur et pour directeur. Si elle voulait s’en donner la peine, je vous assure qu’elle me gouvernerait comme un enfant. » Quelques années après, à la suite d’un autre voyage, le ton est bien changé. Mme Du Deffand, la grande ennemie de Mme Geoffrin, s’est emparée de Walpole, et voilà que, tout entier aux rancunes du salon de la rue Saint-Dominique, fidèle au génie du lieu jusque dans ses injustices, il écrit à son ami le général Conway, de passage à Paris, pour l’engager à ne pas mettre les pieds dans le salon de la rue Saint-Honoré. « Vous seriez bientôt dégoûté de cette maison, où vont tous les prétendus beaux esprits et les faux savans, et où ils étalent leur impertinence dogmatique. » Même recommandation à l’endroit « d’une Mlle de Lespinasse, un prétendu bel esprit, qui a été autrefois l’humble compagne de Mme Du Deffand, mais qui l’a trahie. Je vous prie de ne vous laisser mener chez elle par personne. Cela désobligerait mon amie plus que tout au monde, mais elle ne vous en dirait jamais un mot. »

Mme Du Deffand, elle, n’aimait pas les philosophes ; elle était détachée à l’excès de toute opinion, même de l’opinion à la mode. Ce fut le premier lien de son amitié avec Walpole. Ils se rencontrèrent dans leur haine du pédantisme, de la dissertation et du lieu-commun. Comme lui, elle était excédée du parlage des auteurs. « Ce qu’on appelle aujourd’hui l’éloquence, disait-elle, m’est devenu si odieux, que j’y préférerais le langage des halles. » Et ce qu’elle apprécia tout d’abord dans Walpole, c’est précisément ce libre esprit frondeur, s’appartenant à lui-même, aussi dégagé de préjugé dans un sens que dans un autre, pratiquant cette indépendance qui consiste à marcher hors des voies battues et à s’affranchir aussi bien du fanatisme de l’incrédulité que de l’autre. Elle lui recommande les Essais, assurant qu’il est, malgré lui-même, de la race et de la famille de Montaigne, et que son peu de goût pour cet ancêtre de son esprit ressemble à de l’ingratitude filiale. — Nous ne referons pas ici l’histoire si connue de cette amitié, à laquelle les lettres traduites par M. de Bâillon n’ajoutent d’ailleurs aucun trait nouveau. Toute la substance de ce roman d’imagination, éclos dans la vieillesse d’un siècle et d’une femme, toute la fleur de cette poésie inattendue ont été prises d’avance et recueillies par des mains habiles. La seule manière d’innover en parlant de Horace Walpole, c’est de ne pas parler de Mme Du Deffand. Nous ne résisterons pas cependant au plaisir de citer quelques réflexions semées à travers