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lui, parce que cette machine, si puissante n’est qu’un mortel pauvre et faible comme les autres mortels, et qu’il ne peut faire la millième partie de sa besogne. » Voilà, selon lui, tout le secret de l’institution ; mais, telle qu’elle est, elle a sa raison d’être dans l’utilité de tous, et si Walpole n’a aucun préjugé sur l’origine mystique et les lumières surnaturelles des rois, il ne nourrit aucune illusion sur l’efficacité des mouvemens populaire et l’intervention de la multitude dans les affaires. Le ministère du duc de Choiseul, les passions qui s’agitent autour de lui, les interminables luttes de la cour et du parlement, toute cette misérable politique intérieure où se dévore et s’absorbe cette fin de règne, donnent matière aux plus tristes réflexions de Walpole, et semblent justifier de jour en jour ses appréhensions. Ce fut bien pis après la disgrâce de Choiseul. Walpole n’hésite pas à dire que ce fut « le renversement final de la constitution française. » Avec le duc de Choiseul du moins, il y avait un gouvernement. Il n’y en eut plus après lui : ce fut le règne éhonté de l’intrigue, avec les noms déshonorés du duc d’Aiguillon et de Maupeou, sous la triomphante Du Barry.

A son dernier voyage à Paris, en 1775, la scène change comme par un coup de baguette magique. Walpole assiste avec la plus vive sympathie à une sorte de renaissance des mœurs publiques et du pouvoir royal, appuyé sur de bons ministres. Il est vrai que l’enthousiasme qu’il ressent pour la nouvelle reine, Marie-Antoinette, aide au charme. Il la voit à un bal de la cour, à Versailles, et cette fois c’est de l’éblouissement, chose à noter sous cette plume d’ordinaire tempérée ou railleuse : « Les Hébés et les Flores, les Hélènes et les Grâces ne sont que des coureuses de rues à côté d’elle. Quand elle est debout ou assise, c’est la statue de la beauté ; quand elle se meut, c’est la grâce en personne. » De plus sérieux motifs légitiment son espoir renaissant : le roi est dans d’excellentes dispositions ; il a renvoyé le chancelier, le duc d’Aiguillon, et tous ces malheureux qui avaient « perfectionné le despotisme » sous le dernier règne. M. Turgot supprime les corvées, « la plus exécrable des oppressions, » et chaque jour il projette ou il publie des décrets pour le bonheur du peuple. Les éloges de l’Académie roulent sur des maximes de vertu et de patriotisme, et le roi y applaudit publiquement. « Si la France a le bon sens de garder de tels ministres, elle sera bientôt plus grande que jamais ; je n’aurais pas cru, si je ne l’avais vu de mes propres yeux, combien elle est florissante, en comparaison de ce qu’elle était il y a quatre ans. » C’est là une de ces heureuses surprises comme la France en réserve à ses amis et à ses ennemis, aux plus tristes jours de son histoire. Il y a dans ce peuple étrange, après les désastres ou les décadences, une