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l’ensemble que les œuvres des maîtres peuvent plaire. Quelques scènes de Sophocle, détachées d’une tragédie, ne présentent pas beaucoup d’intérêt, et il est difficile de trouver un grand plaisir à épeler une fois par semaine quelques lambeaux d’un discours de Démosthène dont on ne verra jamais la fin. Toutes les beautés disparaissent dans cette lecture morcelée ; elle ne permet de saisir ni la force des argumens, ni la suite des idées, ni le développement des passions, et tout le monde reconnaît qu’il faut qu’on y renonce au plus vite, si l’on veut que les élèves apportent aux explications une attention moins distraite. Les autres innovations que M. Bréal réclame seront moins aisément acceptées. On leur a reproché d’être trop radicales et de dénaturer notre enseignement, — c’est ce que veut M. Bréal, et il ne s’en cache pas. Dans tous les cas, on ne peut pas les accuser, comme on l’a fait, d’être chimériques : il ne propose rien qui n’ait été expérimenté ailleurs et qui n’y ait réussi. Les méthodes qu’il préfère et qu’il voudrait voir introduire dans nos classes sont celles même qu’on suit avec succès en Angleterre et surtout en Allemagne. Il est difficile de prétendre que ceux qui nous conseillent de les adopter soient des ennemis des études classiques, puisque ces études sont plus florissantes en Allemagne que chez nous.

Le succès même que ces méthodes obtiennent ailleurs a fourni un argument pour les combattre. On leur reproche d’être des importations étrangères, on nous, dit qu’elles peuvent convenir sans doute à des peuples dont le génie est différent du nôtre, mais qu’elles risquent de ne pas s’accorder avec notre caractère national. Sur ce point, M. Bréal nous rassure tout à fait ; il nous montre que ce sont aussi des méthodes françaises. Quand il demande qu’on apporte à l’étude de la grammaire un esprit plus philosophique, il s’appuie sur l’opinion de Port-Royal ; c’est Port-Royal aussi qui a montré le premier qu’il faut faire une place dans l’enseignement à l’histoire et à la comparaison des langues. Dans les livres excellens de Lancelot, on retrouve les principes de la grammaire historique et comparative dont l’Allemagne tire vanité aujourd’hui. « Quand on lit ces ouvrages, si remplis de science et de raison, dit M. Bréal, il semble par momens qu’on a devant les yeux un livre contemporain, à la différence de nos modernes manuels, qui sont vieux et surannés au moment même où ils paraissent. » Sommes-nous donc fidèles à l’esprit français quand nous répudions les traditions de Port-Royal pour marcher sur les traces des jésuites ? Après Port-Royal, c’est Rollin que M. Bréal invoque de préférence. Il est peu de noms qui soient plus respectés et plus célébrés chez nous que celui de Rollin : « c’est le saint de l’enseignement ; » mais nous tenons plus à le combler d’éloges qu’à suivre ses leçons. N’avait-il pas protesté contre l’importance exagérée qu’on accordait chez les pères au devoir écrit et recommandé de préférence l’explication des auteurs, « qui sont comme un dictionnaire vivant et une