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ce que durent et ce que produisent ces coups d’autorité. C’est dans l’enseignement surtout que les révolutions violentes sont fâcheuses ; il n’y faut rien innover que peu à peu. Sans doute il est utile que les exercices du lycée soient modifiés, cependant il importe encore plus qu’un esprit nouveau, un esprit de travail et de curiosité savante, se répande parmi les professeurs, et ce changement n’est pas de ceux qui se décrètent par ordonnance. Le mouvement doit venir des professeurs eux-mêmes. Il leur appartient de voir ce qui leur manque, personne n’est plus compétent qu’eux pour reconnaître les mérites et les défauts de ces méthodes qu’ils appliquent, et dont ils jugent tous les jours les résultats. Il faut seulement, dans l’examen sincère qu’ils en feront, qu’ils se prémunissent contre l’esprit d’immobilité et de routine, si puissant chez nous. « Notre histoire, dit M. Bréal, est semée de révolutions à la surface ; mais ce qui constitue le fond de la vie intellectuelle et morale s’est à peine modifié depuis deux siècles. De pénétrans observateurs de notre génie national ont cru reconnaître que dans les réformes qui touchent aux choses de l’esprit, notre trait distinctif était la timidité. Ce sont pourtant les seuls changemens vraiment féconds, les seuls qui à la longue amènent après eux tous les autres. »

Quand on se permettait, il y a quelques années, de trouver quelque chose à reprendre dans la façon dont nous élevons la jeunesse et de dire qu’on s’y prenait mieux ailleurs, on passait pour un patriote tiède ou pour un caractère chagrin. Il était de mode alors de prétendre que nos institutions étaient les meilleures de toutes, et que l’Europe en était jalouse. Les événemens ont donné de cruels démentis à ces illusions ; nous devons être aujourd’hui convaincus que l’Europe n’est pas aussi empressée que nous le pensions à se régler sur nous, et qu’au contraire il nous serait quelquefois utile de nous régler sur elle. Nous avons été pendant deux siècles à la tête de la civilisation du monde : toutes les nations de l’Europe, l’Allemagne avec elles, tenaient alors les yeux sur nous. Il n’en est pas tout à fait de même aujourd’hui. Si nous voulons reprendre sur l’Europe l’influence que nous avons si longtemps exercée et qui nous est due, il nous faut faire tous nos efforts pour que l’esprit scientifique se réveille enfin chez nous ; il faut que nos professeurs reviennent au plus vite à ces études sérieuses et savantes qu’ils ont trop abandonnées. Quand ils en auront repris le goût, qu’ils le veuillent ou non, ils en feront pénétrer quelque chose dans leurs classes, et les réformes que réclame M. Bréal s’accompliront d’elles-mêmes.


GASTON BOISSIER.