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lorsqu’il s’agit de montrer à des Français la divine Ophélie sous les traits et dans les voiles d’azur de l’amante d’Eros ? Il va sans dire que les vingt représentations consenties par Mlle Nilsson, et que nous acceptons avec enthousiasme, seront exclusivement employées à ce beau spectacle, plein d’encouragement pour les compositeurs ayant des ouvrages en portefeuille. Patience ! nous ne sommes pas au bout. Patience ! car ceci n’est que ridicule, et nous verrons tout à l’heure qu’il y a moyen de faire encore un bien plus mauvais usage de la subvention ; mais d’abord finissons-en avec Psyché. Reprendre cette vieillerie d’opéra-comique ! Pourquoi ? Remettre à grands frais au théâtre une pièce que ni la belle voix de M. Bataille, alors au plein de son succès, ni Mlle Lefebvre, avec tous les agrémens de son jeu et de sa personne, n’ont pu jadis sauver de la mésaventure, une partition insignifiante, et dont il n’est resté, comme de la Reine de Saba, qu’un joli chœur de femmes, — gaspiller à de pareilles fantaisies le temps et l’argent que réclament les ouvrages nouveaux, éluder le cahier des charges quand on aurait au contraire tout avantage à l’aborder loyalement en donnant satisfaction aux brigues les plus légitimes, il faudrait qu’un directeur eût perdu le sens pour se laisser fourvoyer de la sorte. Si l’on tient absolument à rappeler des souvenirs classiques, qu’on reprenne Iphlgénie en Tauride, Alceste ou la Vestale ; mais Psyché ! A tant faire que d’aller inventorier ce vieux répertoire d’opéra-comique, et ravaudage pour ravaudage, mieux vaudrait, je pense, choisir la Fée aux Roses, pièce également à grand spectacle, et dont la musique au moins est d’Halévy ; on pourrait aussi, en restant chez soi et sans marauder chez le voisin, mettre en opéras d’anciens ballets, les Filets de Vulcain par exemple, avec M. Faure pour jouer Mars et Mlle Nilsson pour représenter Vénus.

On n’échappe pas à la vérité d’une situation, et c’est la Jeanne d’Arc de M. Mermet qui sera forcément amenée devant la rampe. Toutes les convenances sont aujourd’hui de ce côté. Le sujet, si grand, si pathétique, dont les circonstances paraissent encore accroître l’intérêt, le sujet par son caractère national s’imposerait à la circonstance. Si cet opéra de Jeanne d’Arc n’existait pas, il faudrait le faire. Il existe, et dans des conditions auxquelles le succès de Roland à Roncevaux peut servir de garant ; qu’on en finisse donc avec ces éternelles temporisations qui ressemblent terriblement à du mauvais vouloir. Puisque ces talens que nous avons créés, ces virtuoses à qui la France a donné la consécration, se montrent à ce point difficiles et arrogans, sachons nous passer d’eux, et montons les bons ouvrages de nos compositeurs avec les ressources que nous avons sous la main. Mlle Krauss ne peut ou ne veut plus venir, Mlle Nilsson pose des préliminaires insoutenables : soyons modestes, mais n’en perdons ni le courage ni l’activité ; mieux vaut voir Jeanne d’Arc représentée par Mlle Hisson que de ne la point voir du tout.

Acceptons les nécessités du présent et travaillons à préparer l’avenir.