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soin de notre fortune qui nous la commande. Nous ne demanderions pas mieux que de voir le Conservatoire prendre les devans et se relier étroitement à l’Opéra ; mais un effort de ce genre exigerait la main active d’un Gevaërt. Songeons que le Conservatoire n’est pas gouverné, et que l’administration supérieure a pour principe de laisser faire, de se mêler le moins possible à des questions absolument étrangères à sa compétence, et dont elle ne parle même pas la langue. Or la prudence conseille qu’en semblable circonstance un directeur de l’Opéra n’agisse qu’à sa guise, et, comprenant, qu’il ne saurait compter sur le rendement du Conservatoire, s’arrange de manière à pourvoir aux besoins de sa troupe. Le bail du directeur actuel est de huit ans : grande mortalis ævi spatium, quand on réfléchit à ce que durent les empires. D’ici à huit ans, à huit mois peut-être, espérons-le, ce désarroi qui règne aura cessé, une bienheureuse disjonction aura séparé le département des beaux-arts du ministère de l’instruction publique. Nous n’en applaudirions pas moins le directeur de l’Opéra de se précautionner d’avance, comme si ce provisoire intenable devait se prolonger, d’avoir son école de chant pour suppléer aux ressources qu’il serait en droit d’attendre du dehors, mais que le Conservatoire ne lui fournit pas. N’est-ce point en effet une position des plus critiques, celle d’un homme à qui les virtuoses en renom posent des conditions extravagantes, et qui, s’adressant à la pépinière nationale, trouve porte de bois : « repassez l’année prochaine ou dans deux ans ! » En attendant, il faut maintenir debout le répertoire et monter des ouvrages nouveaux. La troupe qui fonctionne à l’heure qu’il est n’a rien assurément que d’assez médiocre. Entendue avec les souvenirs d’un passé tout récent et vibrant encore, elle vous attriste. Que de calamités publiques renfermées dans le seul spectacle de cet appauvrissement ! C’est là toujours un imposant motif d’indulgence. Attendons. Ces élémens bien manœuvrés peuvent, en se rapprochant, s’harmoniser, former une excellente troupe de second ordre, et c’est pourquoi le théâtre aurait tout intérêt à s’occuper d’œuvres inédites. On éviterait ainsi les comparaisons écrasantes ; M. Sylva, insuffisant dans Robert, Mlle Hisson, qui fait une pauvre Valentine, gagneraient évidemment à sortir d’un monde où nous avons admiré la perfection, pour se lancer dans l’inconnu, guidés qu’ils y seraient par des auteurs animés à les voir réussir.

Parmi les compositions toutes prêtes à prendre la scène, nous avons oublié de citer plus haut Paul et Virginie de M. Victor Massé, partition conçue d’abord sous forme d’opéra-comique et devenue ensuite par extension un grand opéra de genre. La raison et les convenances exigeaient donc que dès à présent on mît à l’étude soit Jeanne d’Arc, soit Paul et Virginie, puisqu’il parait que M. Gounod, de moins en moins satisfait de son Polyeucte, et après avoir tout le premier ressenti l’immense ennui du sujet, y renonce décidément. À ce propos, disons en quelques mots ce qui se raconte. Le directeur, à peine arrivé de Londres, serait