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terreur sacrée qu’inspiraient les tragédies de M. Viennet. Carafa pourtant mettait moins d’ardeur et de furie dans sa brigue ; tout comme l’auteur d’Arbogaste, il avait, lui aussi, son Achille et son Alexandre en poche, mais il s’abstenait d’en parler, méprisait le présent, et lui tournait le dos. « Rossini ne puis, Meyerbeer ne daigne ! » Il est mort avec cette devise des Rohan sur les lèvres, mort comme il a vécu, en gentilhomme, et, ce qui vaut mieux, en parfait galant homme. Avant de composer des opéras pour la France, il avait servi dans son armée. Ancien aide-de-camp de Murat, nul n’aurait eu plus de droits que lui aux faveurs du dernier empire. Il s’en éloigna, ou du moins n’alla pas au-devant. Et cependant la suppression du gymnase militaire qu’il dirigeait avait fort diminué son bien-être. Solliciter n’était point son métier. Comme on se garda de lui offrir une compensation, il se le tint pour dit. La dernière fois que nous le vîmes à l’œuvre, ce fut à l’occasion de la mise en scène de Sémiramis à l’Opéra. Rossini, qui ne se dérangeait plus, avait chargé son vieil ami des adaptations musicales et du soin de surveiller les répétitions. Un moment Carafa se retrouva au milieu des enchantemens de sa jeunesse. Ces cavatines, ces duos, ces finales, tout cela écrit dans une forme dont lui-même avait tant usé et abusé, rien ne l’empêchait de s’en croire l’auteur, — douce et bénévole illusion dans laquelle Rossini se complaisait à l’entretenir, lui disant chaque fois qu’il le voyait : « Et ta’Sémiramis, que devient-elle ? Es-tu content de tes chanteurs, de ton orchestre ? Quant à moi, tu le sais, je ne t’ai jamais caché mon opinion là-dessus : ce n’est pas de la vieille musique, c’est de la musique qui a vieilli ! »

Considéré au point de vue où la critique se place aujourd’hui, Carafa n’obtiendrait guère plus, je le crains, que les honneurs dus à tout dilettante éminent. S’il eut des succès au théâtre, il ne fut point ce qu’on appelle en Allemagne un musicien spécifique, ce qui certainement est un très grand malheur dans une époque où les moyens termes ont cessé d’exister, et qui semble ne se plaire qu’à partager son enthousiasme entre le symbolisme et le trivialisme. La musique de Carafa ne prouve rien et n’est faite ni pour le public de la Belle Hélène, du Petit Faust ou de Chilpéric, ni pour ces braves gens qui aiment à s’entendre raconter comme quoi Beethoven, partant de la troisième symphonie à la neuvième, a parcouru les espaces qui vont du républicanisme au socialisme. La partition de la Violette, écrite sur le sujet d’Euryanthe, vivra moins à coup sûr que l’œuvre de Weber, de même que Masaniello a dû céder la place à la Muette. Ce n’est point une raison pour ne pas tenir compte au musicien des succès qu’il obtint à son heure. Le superbe duo dont nous parlions, divers morceaux de la Violette ou de la Prison d’Edimbourg, dont les variations pour le piano ont perpétué la mémoire, composent un bagage assez estimable, et bien des écrivains qui se croient