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possible, le praticable, — non l’idéal, et cette vérité s’applique. à l’idéal du passé aussi bien qu’à celui de l’avenir.

En excluant tout ce qui, de près ou de loin, ressemblerait à l’ancien régime, je ne veux pas exclure, bien entendu, les institutions qui, nées de l’esprit moderne, pourraient remplir un rôle analogue à celui de ces institutions regrettées ; seulement il faut que ces institutions soient filles de la liberté et non du privilège. Que l’on réclame des libertés communales et départementales, rien de mieux, mais pas de privilèges provinciaux. — Que la liberté d’enseignement donne à des facultés privées le droit de faire concurrence à celles de l’état, mais pas d’universités privilégiées ! — Que l’on crée, si l’on veut, une seconde chambre pour les intérêts conservateurs, mais pas de pairie héréditaire ! — Que les associations soient libres, mais pas de corporations ! En un mot, les conservateurs ne doivent pas être exclus de la société moderne : ils doivent y avoir l’influence légitime de l’éducation, de la propriété, de la foi religieuse sincère, même des souvenirs nationaux qui s’attachent à leurs noms ; ce sont là des forces réelles, sérieuses et solides auxquelles la société doit faire une place, à la condition qu’on en accepte l’esprit, et qu’on invoque le droit de la liberté et non un droit mystique et exceptionnel auquel personne ne croit plus. En politique, rien de plus dangereux que les fausses croyances, que les fictions et les illusions, même les plus nobles. En inventant le mystère de la légitimité, le vieux Talleyrand, qui ne croyait à rien, a pu se persuader qu’il était profondément habile ; il n’a réussi qu’à tromper ceux qu’il croyait servir en leur inspirant la plus dangereuse illusion. Au lieu d’accepter comme une transaction pratique leur retour en ; France, ce qui était la simple vérité, ils ont raisonné dans l’hypothèse d’une foi monarchique tout à fait chimérique, qui n’existait plus que dans le cœur de quelques vieux serviteurs ou dans la tête de quelques ambitieux, et cette illusion les a perdus. Ainsi en serait-il de toute illusion semblable.

Est-il besoin de dire aussi que nous mettons au nombre des remèdes chimériques le gouvernement militaire ? Dans un pays dont le mal est l’adoration de la force, croire que l’on peut guérir ce mal en couronnant la force elle-même et en la mettant non pas au service, ce qui est juste et excellent, mais à la place du droit, c’est une politique homœopathique tout aussi chimérique que la médecine qui porte ce nom. Le similia similibus est aussi dangereux dans l’une que dans l’autre, et l’une et l’autre ont le même caractère de charlatanisme. Sans doute la politique militaire semble au premier abord moins chimérique que la politique mystique et poétique de la royauté patriarcale et sacerdotale ; au fond, elle ne