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ils se laissent aller, et il est facile de deviner à quel degré d’erreur un esprit, si éclairé qu’il soit, peut être entraîné par une passion dominante. Dans tous les partis, vous trouverez toujours des sous-entendus qui ne font pas question, des majeures qu’on n’exprime même pas, tant elles sont évidentes pour les dévots du lieu ; ces majeures se devinent par un sourire, par une expression glissée en passant, par le silence même. Et ne croyez pas que cela soit le propre des partis populaires : il en est de même des plus distingués ; il y a dans tous des expressions convenues, des symboles immédiatement compris, une sorte de franc-maçonnerie à laquelle il faut être initié. Osez donc être démocrate dans un salon conservateur, libre penseur dans un salon clérical, réactionnaire dans un salon républicain, socialiste dans un salon d’économistes ! Partout on considère comme tranchées des questions qui ne le sont pas, puisqu’il y a des partis contraires qui les soulèvent partout ; on ne s’en rapporte qu’à soi et on excommunie les autres. Comment donc pourrait-on admettre que le gouvernement appartient de droit à tel ou tel de ces partis, et que ce parti, les circonstances l’appelant aux affaires, a le droit de s’y perpétuer en profitant de l’autorité qui lui est confiée pour se substituer à tout le monde ?

Nous hésitons à entrer dans le domaine de la politique actuelle, et nous n’y toucherons que dans la mesure de la nécessité ; cependant les considérations qui précèdent seraient de pures abstractions qui n’apprendraient rien à personne, si nous n’essayions pas d’en faire l’application aux faits. Si nous vivions encore sous l’un de ces gouvernemens plus ou moins usurpateurs que nous avons décrits, nous dirions que la seule manière pratique d’arriver à cette liberté de la souveraineté nationale que nous rêvons, ce serait de prendre pour point de départ l’état légal sous lequel nous serions par hypothèse, quelque éloigné que fût cet état légal du but proposé, car il y a toujours plus de chance pour la souveraineté nationale de s’exercer librement à l’ombre des lois qu’en faisant appel à un nouveau coup de force qui amènera nécessairement une nouvelle usurpation. C’est pourquoi sous le dernier gouvernement les esprits sages ont dû approuver l’entreprise éphémère et si malheureusement déçue, qui a paru un instant vouloir concilier l’empire autoritaire avec le libre usage de la souveraineté populaire. Sans doute, sous cette forme de gouvernement, la souveraineté ne pouvait jamais arriver à une entière et pleine autorité ; mais, comme en politique il faut toujours distinguer le réel et l’idéal, le possible et le désirable, tout ce qui pouvait nous approcher du gouvernement national sans porter atteinte à l’état légal, protection de tous, devait être recommandé et encouragé. Et ici il faut dire toute la vérité : on a calomnié alors