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de la presse sont ainsi les conditions absolues de l’ordre dans un pays éclairé. Ce n’est pas seulement comme soupape de sûreté qu’il faut établir la liberté, c’est comme préservatif de l’arbitraire et comme protectrice des lois. La liberté est donc essentiellement un principe conservateur.

S’il est nécessaire que les gouvernemens observent la loi, il ne l’est pas moins que les partis l’observent également. En effet, si un gouvernement légal, rigide observateur de la loi, peut, en un pays éclairé, introduire dans les masses le respect et la pratique des lois, il est évident que cela n’est possible qu’à la longue, car ce n’est ni en quelques mois, ni même en quelques années, que l’on peut apprécier fa différence d’un gouvernement légal et de celui qui ne l’est pas, et surtout que l’autorité morale de cet exemple pourra se faire sentir. Pour cela, il faut que les gouvernemens durent ; mais, pour que les gouvernemens durent, il faut que les partis se soumettent à la loi, et renoncent à faire appel à la force. On ne le sait que trop : plus les gouvernemens mettent la force au-dessus des lois, plus ils inspirent aux partis le désir d’en faire autant ; réciproquement, plus les partis sont disposés à prendre la force pour arbitre, plus ils autorisent les gouvernemens à substituer la force à la loi. Il y a donc un cercle vicieux ; mais c’est aux partis à commencer, car aucun gouvernement ne peut rester désarmé lorsque l’ennemi est en armes.

Il est évident que ces conseils sont tout à fait inutiles et sans effet lorsqu’il s’agit de tel parti dont la doctrine est précisément le droit de la force, c’est-à-dire le parti démagogique et révolutionnaire. Dire à ce parti qu’il doit respecter les lois, c’est lui parler un langage qu’il ne peut ni entendre ni comprendre, puisqu’il est par hypothèse ennemi de tout état légal, et que sa politique ne va pas au-delà d’une orgie de violences sans but et sans principes. Aussi serait-il puéril de s’adresser à un tel parti, et il n’y a que la force qui puisse protéger la loi contre ceux qui sont incapables de vouloir autre chose que le désordre.

Heureusement, s’il est un fait démontré par l’expérience, c’est que ce parti du désordre quand même a toujours été impuissant, tant qu’il n’a pas eu pour alliés les partis réguliers, et si dans ces derniers temps il a pu triompher un instant sans cette alliance, c’est grâce à des circonstances inouïes, qu’on ne verra jamais renaître, il faut l’espérer. En un mot, ce que Bacon dit du peuple, à savoir que ses mouvemens ne sont pas à craindre tant qu’ils ne sont pas dirigés par les grands, on peut le dire du parti démagogique, qui ne sera jamais à craindre tant qu’il ne sera pas plus ou moins dirigé ou entraîné par les partis réguliers. C’est là le nœud du problème.