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orageux de la crise philosophique du temps. Elles ne peuvent subsister que dans deux cas très divers : il faut qu’elles soient soumises à un immuable credo, dont l’état est le gardien jaloux, ou bien qu’elles dorment du sommeil de l’indifférence. Dès que la vie religieuse et intellectuelle s’y réveille, les tendances opposées se manifestent, et le cadre administratif qui les enferme devient le champ-clos des luttes les plus ardentes et les plus confuses, parce que le lien civil maintient une union factice. C’est un vrai supplice de Mézence. Quand les églises en sont venues là, elles n’ont plus qu’à se séparer de l’état, non plus seulement pour les raisons politiques de droit et de justice, qui prévalent de plus en plus au sein du libéralisme moderne, mais pour les motifs les plus sérieux, puisés dans leurs croyances mêmes. Supposez que l’église réformée se constitue aujourd’hui, comme ses sœurs d’Ecosse et d’Amérique, en dehors des cadres administratifs ; immédiatement ce grand bruit de dispute s’apaise, chaque tendance s’organise pour elle-même. Personne alors ne saurait reprocher aux évangéliques de léser la liberté par leur profession de foi, puisqu’elle n’aura d’autorité que sur ceux qui l’auront acceptée. Les partisans du christianisme philosophique rallieront leurs adhérens sans contrister les croyans, qui ne peuvent entendre sans souffrir la résurrection du Christ niée dans la chaire de leur église. Cette conclusion des délibérations du synode s’impose tellement que le vœu formel de la séparation de l’église et de l’état a été exprimé par les représentans les plus éminens des deux tendances. On l’a singulièrement tempéré et généralisé dans le vote définitif, qui n’a plus été qu’une invitation aux églises à se préparer pour le moment où ce grand principe sera proclamé pour le pays tout entier. Les protestans se disent les uns aux autres, et surtout aux catholiques : Sortez les premiers, et nous vous suivrons. A coup sûr, le parti religieux qui prendrait l’initiative de cette noble témérité, en pensant avec raison que la liberté et l’ordre véritable dans l’église valent leur prix, conquerrait immédiatement, la supériorité morale. Nous n’en comprenons pas moins les honorables scrupules qui arrêtent les consciences les plus droites. Quoi qu’il en soit, les destins auront leur cours, la logique des choses triomphera de tous les atermoiemens. Le synode de Paris, après avoir dégagé de bien des nuages sophistiques la notion de l’église chrétienne, a marqué le terme vers lequel elle marche, et les. difficultés inextricables qu’il rencontrera pour appliquer ses propres votes hâteront le jour de l’émancipation totale.


E. DE PRESSENSÉ.