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dans les batailles. Les autres pièces, plus courtes, plus négligées, mais imprégnées d’une saveur originale, ont été improvisées par des auteurs restés anonymes, peut-être par plusieurs auteurs à la fois, dans le désœuvrement et les insomnies du bivouac. Une société littéraire, la société Kisfaludy, vient d’augmenter cette collection d’un grand nombre de fragmens recueillis dans tous les comitats et jusque dans les villages les plus ignorés. De tous ces poètes, le seul Petœfi Sandor est connu des lecteurs français : M. Saint-René Taillandier en 1860 lui a consacré un travail dans la Revue ; M. Chassin a su encadrer ses plus belles poésies dans un récit des événemens politiques ; MM. de Ujfalvy et Desbordes-Valmore viennent d’en offrir à notre public une traduction nouvelle. Petœfi restera donc en dehors de notre étude. Nous recueillerons les autres traits. épars de la vie poétique des Magyars dans cette terrible année de leur existence nationale, et nous essaierons d’en faire sortir un vivant tableau de leurs passions.


I

« Une âme nouvelle est chez le Magyar, un monde nouveau est dans sa tête. » Rien n’est plus vrai que ces deux vers : on ne saurait donner une plus juste idée de l’effervescence qui s’empara des âmes hongroises en 1848. Le long travail des érudits et des poètes, consacré depuis un demi-siècle à restituer le glorieux passé de la patrie, inspirait une confiance absolue dans l’avenir et un orgueil sans limites. Les progrès continuels de la tribune parlementaire, la plus remarquable de l’Europe après la tribune française, étaient couronnés par la gloire chaque jour plus éclatante de Kossuth, et cette éloquence passionnée faisait paraître froides les harangues si patriotiques pourtant des conservateurs libéraux fidèles à la vieille tradition. La vie politique devenait brusquement révolutionnaire, en ce sens qu’au lieu de réclamer avec patience et au nom du droit écrit l’usage des libertés anciennes on réclamait au nom du droit naturel la liberté absolue. Comme la patrie, la liberté devenait une divinité à la fois terrible et adorable, que l’on invoquait avec le langage du plus fervent amour, et à qui l’on ne pouvait promettre assez de sacrifices.


« Salut, liberté sainte, notre belle fiancée ! A toi le battement de nos cœurs. Pour toi, s’il le faut, nous donnerons notre sang et notre vie.

« Tu étais sous le joug, foulée aux pieds, nous avons brisé tes