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soldat magyar. » C’était plus qu’un génie, c’était une lumière céleste. « Le secrétaire de Kossuth n’a pas besoin de chandelle, car il écrit auprès d’un astre lumineux. » Lorsqu’il demandait de nouvelles troupes, loin de se plaindre, on disait : « Il fait bien, Dieu le bénisse ! » — « Louis Kossuth a dit que le régiment n’était pas complet ; s’il manque deux hommes, on en trouvera trois, on en trouvera treize. Louis Kossuth a dit que le régiment ne suffit pas ; s’il le dit encore une fois, nous marcherons tous. » Et il ne faut pas voir dans ces élans le culte du succès : vaincu, proscrit, Kossuth est devenu plus populaire que jamais. Les idées subversives, aigries par un long exil, surtout depuis que cet exil est devenu volontaire, ont beaucoup perdu de leur autorité, et les élections récentes de juin et juillet 1872 prouvent que la Hongrie s’est guérie de bien des chimères ; mais le prestige personnel de Kossuth défie toutes les attaques, et, si jamais il consent à rentrer dans sa patrie, un vrai triomphe lui est assuré.

Les succès de Gœrgey venaient de décider Kossuth à faire proclamer la déchéance des Habsbourg, et à prendre en main le gouvernement qu’il devait conserver depuis le 14 avril presque jusqu’à la fin de la guerre. Cependant les illusions des chefs n’étaient pas toujours partagées par les soldats. Le 11e bataillon était joyeux de ses victoires, mais il savait bien ce qu’elles lui avaient coûté. « Belles filles de ma belle patrie, allez cueillir les fleurs des champs, des fleurs blanches, des fleurs rouges ; les rouges conviennent au front du vainqueur, les blanches au tombeau des victimes, et de ces fleurs rouges et blanches tressez une couronne pour le 11e bataillon. » Les chansons à boire elles-mêmes prouvaient aussi bien les inquiétudes du soldat que sa gaîté devant le péril, et que son mépris pour les lâches conseils. « Allons, choquons joyeusement nos verres. Qui sait quel sera demain notre sort ? Peut-être la mort rôde-t-elle autour de nous ? Trinquons pour la patrie ! Qu’il boive, celui qui pense comme nous. — Ce n’est pas un honvéd, celui qui regarde en arrière. C’est un soldat femme de chambre, celui qui boude dans la bataille. »

Les exigences de la discipline dans une guerre où la moindre faiblesse pouvait être fatale pesaient cruellement sur les jeunes gens brusquement initiés à cette dure existence. C’est ce que rappelle une complainte chantée par les paysans du comitat de Nyitra sur la façon dont on traitait les conscrits trop pressés de manger. En voici une traduction abrégée, quoique ce récit nous paraisse appartenir à une autre époque, et devoir être mis sur le compte de la discipline autrichienne plutôt que de la discipline hongroise. « On nous mène à l’exercice. Pas permis de bouger ; il faut se