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œuvres distinguées et sérieuses, qui attestent, sinon précisément une renaissance du grand art, du moins une science consommée, une étude consciencieuse de la nature et une louable fidélité aux saines traditions. Nos sculpteurs, il faut leur rendre cette justice, valent mieux aujourd’hui que nos peintres, parce qu’ils ne sont pas, comme eux, les esclaves de la mode, et qu’ils vivent dans une région plus sereine, où ne pénètrent pas autant les influences du dehors. Dans ce milieu un peu réfractaire de la société moderne, il faut les louer d’avoir su se créer une atmosphère spéciale et, pour ainsi dire, un monde à part. Ce qui les rend moins populaires est peut-être ce qui les maintient à un niveau plus élevé. Est-ce à dire que tout leur art se borne à de passables imitations des grands maîtres, et que, ne trouvant pas autour d’eux de quoi le rajeunir, ils se traînent machinalement dans l’ornière académique ? Cela n’est pas vrai, et la nouvelle génération a fait, du moins sous ce rapport, un progrès sérieux sur sa devancière ; non-seulement elle n’est pas classique, mais le romantisme lui-même, cette autre forme dégénérée du genre académique, est en décadence, et tend à céder la place à un genre moins pompeux et plus vrai. Les uns s’inspirent de l’antiquité ou de la renaissance, soit italienne, soit française, comme MM. Mercié, Hiolle, Gautier, Barrias, Guillaume. Les autres, peut-être les plus brillans, dans tous les cas les plus modernes, semblent s’inspirer de ce XVIIIe siècle français, dont les mœurs et les idées ont tant d’analogie avec les nôtres.

Ces derniers ont évidemment pour chefs MM. Carpeaux et Falguière. Le nom de M. Carpeaux est depuis quelques années un sujet de scandale pour les âmes chastes. Depuis le bruit qui s’est fait autour de son fameux groupe de la façade du nouvel Opéra, cet éminent artiste passe aux yeux de bien des gens pour le grand corrupteur de l’art français. Sa Mater dolorosa, ce morceau religieux d’un sentiment si profond et si noble, n’a pas fait oublier ses autres méfaits, et il reste irrévocablement condamné par ces critiques vertueux qui ne voient dans l’art ou ne prétendent y voir qu’un moyen de purifier les âmes. Tel qui accepte sans sourciller les nudités provocantes de Pradier ou qui s’extasie devant les statuettes lascives de Falconet ne saurait pardonner à M. Carpeaux la maladresse qu’il a commise en donnant à ses danseuses avinées des proportions aussi colossales et en les plaquant sur la façade d’un monument public. C’est une faute de goût pour laquelle on devait être sévère, mais qui n’empêche pas M. Carpeaux d’être un des premiers, sculpteurs de notre temps.

Ceux qui contestent son talent ne peuvent au moins lui refuser une fécondité merveilleuse. Rude, son maître, méditait pendant plusieurs années le groupe de L’arc de l’Étoile. M. Carpeaux va