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ce rapport du moins, M. Allouard laisse un peu regretter M. Noël.

Pour M. Chapu, qui est cette année le favori du public, il ne s’amuse pas à représenter des Marguerites, des Ophélies et autres héroïnes de fantaisie, qui noient leurs enfans ou qui se noient elles-mêmes. Il emprunte la sienne à l’histoire de France, et nous donne bel et bien une Jeanne d’Arc à Domremy, écoutant les voix du ciel, Le choix seul du sujet est en lui-même une habileté. Une statue de Jeanne d’Arc obtiendra toujours un succès d’estime auprès de ceux même qui seront insensibles à ses véritables beautés. C’est justement ce qui arrive à cette œuvre distinguée, consciencieuse, intelligente, très élevée même au point de vue moral, mais, est-il permis de le dire ? un peu trop molle et trop incolore au point de vue de l’exécution. La Jeanne d’Arc de M. Chapu est un de ces morceaux qui, faute de vigueur, n’ont rien de très frappant au premier coup d’œil, mais qui plaisent d’autant plus qu’on les regarde plus longtemps. La jeune fille agenouillée, vêtue en paysanne, est assise un peu de côté sur ses talons ; elle se penche légèrement en avant, en laissant tomber sur ses genoux ses beaux bras élégans et robustes et ses mains jointes avec ferveur. La tête, droite et inspirée, lève tranquillement les yeux vers le ciel avec un regard plein de confiance et. d’amour. Il y a de l’extase dans cette figure, il y a aussi de la santé. Ce n’est pas l’extase mystique et maladive d’une sainte Monique ou d’une sainte Thérèse ; ce n’est pas le désordre d’une âme troublée par les visions malsaines de la superstition du moyen âge : c’est l’exaltation naïve d’une âme neuve et vaillante, qui s’ouvre sans crainte et sans trouble aux révélations de la parole divine, avec toute la paisible candeur d’une foi presque enfantine et toute la noble ardeur d’un cœur presque viril. C’est bien la simple fille des champs qui s’ignore elle-même, mais que le ciel a choisie pour en faire l’instrument de ses desseins, et dont le cœur biblique s’élève sans effort à l’héroïsme, à l’appel de « monseigneur saint Denis et de madame sainte Geneviève. » Les lignes, sont nobles, bien agencées, et d’un aspect très doux ; la facture simple, pleine, large et sans prétention, manque un peu de relief et d’énergie. Cette statue brille surtout par la beauté de la pensée et par je ne sais quelle harmonie décente que rehausse encore la simplicité d’une exécution sobre et modeste.

La Clytie métamorphosée en tournesol, du même auteur, est également d’un sentiment gracieux, décent et doux. La jeune fille est couchée sur le flanc, couronnée de fleurs ; elle tient des fleurs dans sa main et semble s’attacher à la terre en tournant ses regards vers le ciel. Le mouvement est joli, mais l’exécution est encore un peu faible ; par derrière surtout, les lignes du dos, des épaules et des hanches sont d’une raideur mal dissimulée par la mollesse du