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court sus aux sangliers, aux ours, aux loups, aux renards et autre gent sans foi ni loi, représentant les docteurs de l’église. » Rien ne détourne certains esprits de leur chimère. Le mouvement, l’agitation du corps excite, avive la pensée. Déjà du temps de Pline le Jeune, cet effet produit par la chasse était connu : jam undique sylvæ et solitudo, ipsumque illud silentium quod venationi datur magna cogitationis incitamenta sunt.

On s’élance au-devant de Diane, et c’est Minerve qu’on rencontre. Combien le savent mieux que nous qui se targuent d’être des Nemrods devant le monde. Montant à cheval, on prend avec soi, comme le Romain, ses tablettes et son stylet. Une fois la chasse mise en train, on s’en détache, on s’assied tranquillement sous un arbre, et là, causant avec un ami, notant sur le papier quelque pensée, on échappe à l’obsédante loi de ce plaisir traditionnel. J’ai, pour ma part, souvent plaint les grands d’avoir à subir ainsi une foule de divertissemens qui s’imposent à eux dès leur naissance, et dont la périodicité seule suffirait à faire un supplice. « Comme on s’ennuie aux Tuileries quand on n’y est pas né ! » disait une personne d’un rare mérite et d’une exquise sagacité d’observation, Mme de Lamartine. J’estime que la naissance même ne saurait être toujours un préservatif efficace contre l’immense ennui qui s’attache à certains plaisirs stéréotypés dont le programme inexorable vous enserre et vous gouverne fatalement du berceau à la tombe. En outre, sans vouloir médire de ce caractère aristocratique de la forêt, consacrée de haute date à fournir un théâtre privilégié aux ébattemens des races souveraines, il est permis de reconnaître que depuis le moyen âge les temps ont marché, et qu’un prince d’aujourd’hui n’a pas besoin d’être un grand philosophe pour se demander ce que peut, après tout, avoir de si noble, au milieu de la politesse des mœurs modernes, cette coutume de se répandre avec sa cour dans la profondeur d’une forêt pour y jouer à la barbarie, et systématiquement, à heure fixe, venir en quelque sorte épeler l’alphabet de la civilisation.

Le traitement que Luther recevait à la Wartbourg était celui d’un hôte et non pas d’un prisonnier. L’unique gêne qu’il eût à subir venait d’un excès de surveillance dont lui-même, pour sa propre sauvegarde, n’eût jamais été capable. Dans ses excursions, dans ses chasses, il fallait l’accompagner, le tenir en vue, empêcher le moine mis au ban de l’empire d’être reconnu sous la cape du chevalier George, tâche qui certes n’était pas commode, grâce aux intempérances de langage, aux atrabilaires soubresauts du personnage. S’arrêtait-on dans une auberge pour se rafraîchir, aussitôt le prédicant de déchaîner ses foudres. Quatre manans attablés à table lui