Page:Revue des Deux Mondes - 1872 - tome 100.djvu/941

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

étrangers plus qu’on ne croit, et cette scrupuleuse fidélité, l’état l’a naturellement, pratiquée avec plus d’énergie encore dans les transactions publiques. L’état a simplement et résolument accepté tous les engagemens qui l’accablaient. Il s’est exposé, pour y faire face, à infliger au pays les plus durs sacrifices. L’assemblée elle-même n’a point hésité à voter les impôts qui lui déplaisaient le plus, et, s’il y a eu des luttes de systèmes sur la manière de créer des ressources nouvelles, il n’y a eu aucun doute sur la nécessité de voter tout ce qu’il faudrait, de payer tout ce qu’on devait. Voilà ce qui a fait le succès de l’emprunt, ce qui en détermine en quelque sorte le caractère moral et politique en dehors de toutes les combinaisons dont on fait du bruit. Il n’est point en vérité dans tout cela question de la république, qui n’y est pour rien. C’est la France laborieuse, fidèle à ses engagemens, c’est cette France toujours vivante et honnête, représentée par un gouvernement sensé, qui, au jour où cela est devenu nécessaire, a reçu le prix de sa bonne conduite et de sa probité. Tel qu’il est, ce simple phénomène financier est peut-être l’expression d’un phénomène politique plus profond ; il montre qu’en dehors de toutes les prétentions des partis et de tous les conflits de systèmes il y a un pays qui vit par lui-même, qui se suffit à lui-même, qui n’apparaît bien réellement qu’en certains jours pour faire acte de vitalité et de puissance.

C’est là peut-être le secret de bien des choses tout actuelles qu’on ne s’explique pas toujours et sur lesquelles les partis se méprennent étrangement. Les partis ont le malheur ou la manie de se payer sans cesse de mots, de se créer à eux-mêmes un logomachie qui ne répond à rien, — d’entretenir, pour leur profit et dans l’espoir d’y trouver une chance de victoire, une certaine agitation factice à laquelle la masse nationale reste parfaitement insensible. Qu’on se mette encore une fois, pour occuper les loisirs des vacances parlementaires, à discuter sur le provisoire et le définitif, sur la république de M. Thiers et la république sans M. Thiers, qu’on s’efforce maintenant de persuader à cette Fiance fatiguée qu’elle a besoin absolument d’une nouvelle assemblée constituante qui passera six mois à lui donner une douzième ou une quinzième constitution, — franchement en quoi le pays peut-il s’intéresser à ces querelles qui ne lui promettent que du temps perdu et des agitations inutiles ? Il ne s’inquiète plus pour si peu, et, quand on y regarde de près, on arrive à une vérité singulière, c’est qu’en politique, comme il vient de le montrer à l’occasion de l’emprunt, le pays a sa vie propre en dehors du mouvement artificiel des partis. On veut lui donner une constitution nouvelle, et il est clair qu’il n’éprouve guère le besoin de cette constitution inconnue, par la raison toute simple qu’il en a une qu’il se fait à lui-même jour par jour, heure par heure, depuis quatre-vingts ans, qui est passée dans ses mœurs, dans ses lois, qui est l’essence de son organisation tout entière, et qui est désormais indestructible. Cette constitution, elle