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d’un caractère champêtre assez grotesque. Cette année, on s’est un peu modéré : c’est dans l’enceinte d’un édifice public qu’a eu lieu la distribution des prix aux enfans des écoles communales qui sont sous la direction de la municipalité ; mais sait-on bien ce qu’on a imaginé pour donner de la saveur et de la nouveauté à la fête, pour se distinguer surtout des écoles de la réaction ? C’est aux enfans eux-mêmes qu’on a confié le soin de décerner les récompenses à leurs camarades. On a eu une distribution des prix au suffrage universel, le tout entremêlé de rafraîchissemens ! C’est ainsi que le radicalisme entend travailler à la régénération du pays, qui heureusement s’accomplira sans lui, qui reste l’œuvre de l’assemblée et du gouvernement, moins préoccupés d’inaugurer le suffrage universel dans les écoles primaires que de remettre l’ordre dans les esprits comme dans les faits.

La France a tant à faire chez elle aujourd’hui, et ce qu’elle a désormais à faire dépend si intimement d’elle-même, qu’elle n’a en vérité ni à rechercher impatiemment les diversions extérieures, ni à s’inquiéter outre mesure des combinaisons qui se nouent et se dénouent en dehors d’elle, dans les conseils des princes et des diplomates. Ce n’est point certainement qu’elle doive se détacher de tout ce qui se passe en Europe et abdiquer toute influence ou toute vigilance. Pour le moment, la meilleure des politiques pour elle, c’est de s’en tenir à ses affaires, de rester la spectatrice tranquille, recueillie et attentive des incidens de diplomatie où elle n’a et ne peut avoir aucun rôle. Qu’il y ait un de ces jours une réunion de souverains à Berlin, c’est là en définitive un de ces spectacles sur lesquels l’Europe doit être un peu blasée. Des entrevues impériales et royales, il y en a eu de toute sorte depuis vingt ans, il y en a eu partout, à Varsovie, à Stuttgart, à Salzbourg ; le plus souvent elles n’ont rien produit ou ce qu’elles ont produit n’était point ce qu’on attendait, par cette raison bien simple que les princes qui se rencontrent s’entretiennent naturellement de ce qui les rapproche, évitent plus naturellement encore ce qui pourrait les diviser, et finissent par se quitter après s’être prodigué des sermens d’amitié qui durent ce qu’ils peuvent, quelquefois dix mois, le temps d’aller de l’entrevue de Gastein à Sadowa ! Aujourd’hui, à la vérité, le spectacle semble plus imposant et tire une signification particulière des circonstances, après les événemens prodigieux qui ont remué le continent ; ce sont les empereurs d’Allemagne, de Russie et d’Autriche qui vont se rencontrer à Berlin, peut-être au milieu d’une cour de petits princes accourus autour d’eux. Au fond cependant, quel est le sens réel, quelle peut-être la portée de cette conjonction d’astres impériaux ? Comment l’entrevue a-t-elle été préparée, et quels sont les mobiles des souverains qui vont se rencontrer à Berlin ?

Assurément M. de Bismarck, qui est un habile metteur en scène et un grand organisateur de coups de théâtre, n’a point été insensible à