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des belles esclaves empressées au milieu des boîtes à parfums en ivoire avec un amour ciselé en bas-relief, des magnifiques peignes de bronze incrustés de pierres de couleur, des aiguilles à cheveux d’or ou d’ivoire, terminées par une petite statue de Vénus sortant des flots et tordant sa chevelure ruisselante. Quand elle se regardait dans un de ces grands miroirs de métal poli où elle se voyait des pieds à la tête, combien Délia devait se trouver différente des filles de sa nation qu’elle avait pu connaître dans son enfance! Le front étoile de pierreries, les poignets, les bras et les chevilles serrés dans des nœuds de serpens d’or incrustés d’émaux, les oreilles ornées de grosses perles blanches venues des pêcheries du golfe Persique ou de l’Océan indien, les doigts chargés d’anneaux et de bagues où brillaient enchâssés des diamans et des pierres gravées, le cou et la poitrine couverts de colliers à plusieurs rangs, composés d’étoiles d’or, de vipères enlacées ou de feuilles de lotus, séparés par des perles, des pendeloques de rouge corail, de vertes émeraudes ou de bleues turquoises, et terminés par une chaînette à laquelle pend une petite bulle, merveilleux chef-d’œuvre de ciselure, où sa vieille mère a enfermé quelque grimoire de papyrus contre le mauvais œil, qu’elle ressemblait peu, la Délia de Tibulle, à la Syrienne des Moissonneurs de Théocrite, à la pauvre joueuse de flûte, maigre et brûlée du soleil[1] !

Le moyen d’imaginer qu’une fille aussi pieuse, livrée corps et âme aux sombres cultes d’Egypte et de Syrie, n’ait point aimé parfois, dans ses mystérieuses retraites, à se couvrir d’habits somptueux comme une Notre-Dame, je veux dire comme la statue d’Isis ou de Cybèle, qu’elle voyait les prêtres stolistes coiffer de la cidaris haute et droite assyrienne, charger de colliers, de bracelets et de périscélides, habiller de la tunique sacro-sainte que serrait une ceinture ornée de gemmes, de l’éphod et de la longue stola talaire couverte de broderies? Avec ses grands yeux vagues, avivés d’antimoine, noyés d’effluves mystiques, ses mollesses infinies, ses langueurs et ses fièvres. Délia n’avait pas même besoin de ses jolis bras souples et nerveux dont parle Tibulle pour l’entraîner au pâle séjour des ombres avec les derniers fils épuisés de la Grèce et de Rome. Pour Tibulle, Délia n’était que tendresse, et il semble bien en effet qu’elle fut toute d’amoureuse et sensuelle bonté. J’ai noté que le mot tener se rencontre sous le calame du poète toutes les fois qu’il parle d’elle. Peut-être, comme il arrive, lui prêtait-il un peu du sentiment dont son cœur débordait; mais en même temps il sait, à ne s’y point tromper, que dans cette fille rêveuse et douce, en proie à quelque mal sacré, humble comme une esclave, il y a

  1. Théocr., Idyll., X, 20-27.