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paralysie, les princes d’incapacité, le ministère de folie, la garde nationale de stupeur, la chambre des pairs et des députés d’une insigne lâcheté ; on dirait que tous ces gens-là avaient tellement la conscience qu’ils trahissaient leur pays, que pas un n’a eu le courage de rester, dût-il mourir à son poste. Cet abandon du gouvernement de juillet est inimaginable. La république n’a été qu’un escamotage, personne n’était prêt. Le premier qui a osé prendre le pouvoir, délaissé par tous, est devenu souverain. Et puis ces scènes de juin ! Il n’y a plus de sentiment à faire ; la question est bien posée : entre la barbarie et la civilisation, qui triomphera ? De tout cela, il est évident que nous allons avoir en France de bien mauvais jours à passer, que l’hiver prochain sera dur, et l’année suivante ! Oh ! cette assemblée nationale ne méritera que le mépris…

Je suis venu à Bombay pour chercher des ordres ; dans deux mois, je puis avoir une réponse, si le ministère veut bien me répondre par le prochain courrier de l’Inde. J’ai fait de la Reine-Blanche une frégate admirable. Le bâtiment, l’équipage et la musique, qui est délicieuse, tout cela est merveilleux. On ne peut rien imaginer de plus complet, de plus satisfaisant pour l’orgueil national, et maintenant que je me suis donné tant de peines pour obtenir ce résultat, que je n’ai plus qu’à en jouir, il faut que je le remette aux mains d’un successeur ! Voilà la vie ; ce n’est jamais pour soi qu’on travaille. Au moins j’ai la satisfaction, au milieu de l’ébranlement général de la France, d’avoir conservé et préparé à mon pays un élément de force dont il peut être fier. Tout est soudé à bord, et tout fonctionne avec un ensemble, avec une habileté ! on dirait que ce n’est qu’un seul corps, qu’une seule âme. Nos amis d’Angleterre n’en reviennent pas, c’est une admiration perpétuelle. On m’a dit que M. Febvrier-Despointes venait me remplacer ; je n’en ai reçu aucun avis positif ; sa nomination n’est même pas dans le Moniteur. C’est une chose singulière que ce mystère qu’on a fait : suis-je donc un homme si redoutable que personne n’ose signer et me signifier mon rappel ? Le fait est que je suis peu disposé à fléchir lâchement. Ma correspondance ne doit pas leur laisser le moindre doute à cet égard. J’irai leur demander compte de ce qu’ils font de ma patrie et pour ma patrie, et si je puis, par un moyen honnête, devenir membre de cette assemblée nationale, je les ferai marcher droit, ou ils m’emporteront. Je ne saurais vous exprimer l’indignation dont je suis saisi à la vue de la lâcheté dont tous les partis font preuve. Et les hommes de l’ancien gouvernement et les républicains sont également sans caractère. Il n’y a que les communistes qui montrent du nerf ; mais c’est le féroce courage du tigre, ce sont des cannibales qu’il faudra traquer et pour-