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au besoin ce que leur système présentait de plus choquant, affectant de poursuivre la même œuvre que les missionnaires de la réforme, et recourant, quand ils étaient contraints de s’expliquer, à des faux-fuyans et à des formules ambiguës. En cela, ils reprenaient la tactique dont avaient usé les luthériens avec l’église. Quand le parti évangélique de Münster soupçonna leur duplicité, ils s’étaient assez fortifiés pour ne point redouter la lutte, et il fut facile aux hypocrites sectaires d’obtenir pour leur culte des garanties qui ne pouvaient plus être refusées sans compromettre l’ordre et la tranquillité. Ces garanties devinrent entre leurs mains un nouveau moyen d’attaque et un piège où tombèrent leurs adversaires, auxquels ils allaient bientôt arracher le gouvernement de la ville. C’est le procédé ordinaire des factions extrêmes, qui, n’ayant tout d’abord ni le nombre ni l’autorité, s’effacent derrière les partis plus modérés, chez lesquels la résistance au pouvoir n’a pour objet que d’imposer de légitimes réformes et des changemens mitigés, les poussent en avant, et, se faisant accepter sous le couvert de ce même parti, saisissent à l’improviste les rênes de l’état, quand, par l’effet d’une sédition populaire qu’ils ont provoquée ou d’un déchirement intérieur dont ils sont les fauteurs, ces rênes s’échappent de la main qui les tenait. Voilà comment dans la cité westphalienne le luthéranisme fit place au zwinglisme, lequel fut renversé à son tour par une réforme plus radicale qui devait aboutir aux sanglantes saturnales d’une théocratie démagogique. En aucune ville d’Allemagne au XVIe siècle, les classes inférieures n’étaient plus turbulentes et plus agitées qu’à Münster. Nulle part il ne régnait des sentimens plus envieux et plus malveillans envers les classes gouvernantes et l’autorité suzeraine, car nulle part les abus de la puissance temporelle d’un prince-évêque, le luxe, la morgue et la dissolution du haut clergé, ne s’étalaient plus au grand jour ; nulle part l’exercice du gouvernement spirituel n’était devenu matière à un trafic plus honteux, et n’avait amené un plus déplorable oubli des devoirs du saint ministère. L’hostilité de la populace, des artisans, de la petite bourgeoisie contre les membres du chapitre et l’aristocratie bourgeoise, unie d’intérêts et d’idées avec ce corps ecclésiastique, était un puissant élément révolutionnaire dont s’emparèrent les novateurs. Ils flattèrent les passions de la multitude et la nourrirent de leurs propres illusions, promettant de rendre à l’église une pureté et un désintéressement dont les mœurs du siècle ne permettaient guère le retour. L’évêque devait être dépouillé de sa puissance, le clergé de ses biens et de ses droits. De là le succès que rencontra la prédication évangélique chez les hommes des gildes, qui, tant que les protestans ne furent pas au pouvoir, en formèrent l’armée, et qui,