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bouche. Quoi qu’il en soit, son projet était d’en faire présent à l’église de Saint-Maurice. Il arriva dans sa patrie le premier jour de mars, où l’église célèbre la fête de saint Aubin. A peine parut-il à la vue de Semur, que toutes les cloches de Notre-Dame se mirent à sonner d’elles-mêmes. Gérard ne fit apparemment aucune attention à ce signe, car il persista dans son dessein, et, entrant dans l’église de Saint-Maurice, il posa la relique sur l’autel; mais l’anneau, s’élançant de lui-même, sauta dans sa bouche : ce ne fut qu’en ce moment qu’il comprit que la mère de Dieu n’agréait pas que son anneau fût ailleurs que dans un temple consacré sous son nom. Il le porta donc à Notre-Dame, où, l’ayant placé sur l’autel, il y resta, et le saint homme en fit présent au prieur et à ses religieux. Gérard, étant mort quelques années après, eut sa sépulture au cloître Notre-Dame, dans une bière de pierre qu’on y voyait encore il y a environ cinquante ans. Tous les ans, le premier jour de mars, on lavait ses os; ensuite on faisait une distribution en pain et en vin à treize pauvres, et l’on sonnait confusément toutes les cloches à la fois, comme si elles eussent sonné d’elles-mêmes. Cet usage a cessé, comme je l’ai dit, depuis quarante ou cinquante ans; on a porté les os du bon Gérard au cimetière; je ne sais ce qu’est devenue sa bière, mais en faveur du peuple on a conservé la sonnerie singulière et l’aumône. Quant à l’anneau, les chanoines mieux instruits, sachant que plusieurs églises se vantaient de posséder une pareille relique, et qu’en l486 le pape Innocent VIII avait jugé en faveur de l’église de Pérouse le différend qu’elle avait à ce sujet avec celles de Chiusi et de Sienne, on n’expose plus celui de Semur à la vénération publique, et bien des gens dont les pères s’applaudissaient de l’avoir dans leur patrie ignorent qu’il existe dans la sacristie. »

Aujourd’hui l’anneau a disparu, et la légende du bon Gérard est oubliée ; mais je crois fort que, malgré leur peu de souci du passé, les habitans actuels de Semur, s’ils étaient observés de près, montreraient qu’ils sont restés fidèles à cet esprit de leurs pères qui a rempli leur cathédrale d’œuvres et de souvenirs populaires. Le premier objet que je rencontre en me promenant à travers la ville est une chanson du cru exposée aux vitrines d’un libraire : La légende ou chanson de saint Vernier, patron des vignerons de tout le pays d’entre Bourgogne et Morvan, telle qu’elle vient d’être retrouvée dans les archives de la mairie de Pont-et-Massène, par M. V. Mainfroy, habitant de Semur en Auxois, ajustée et mise en musique sur un vieux air nouveau, par M. A. Deroye, en ce moment aussi bourgeois de Semur. Les deux ingénieux habitans de Semur ont eu, comme on voit, l’intention de faire œuvre de Chattertons et de Macphersons populaires; en réalité, ils ont réussi à faire une bonne imi-