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faîte, forme comme l’alpha et l’oméga de cette demeure. Dans la chambre en rotonde qui termine l’édifice et s’appelle la tour dorée, Bussy a fait représenter les héroïnes de son Histoire amoureuse, et Mme de Montglas tient sa place dans leurs rangs. C’était pourtant pour son plaisir que Bussy avait écrit les aventures galantes de ces femmes dont les portraits entourent le sien; maintenant la voilà rangée par un dépit de l’amour parmi ces belles capricieuses qui lui avaient été sacrifiées, et encore moins épargnée qu’elles. Elle est vraiment jolie, cette infidèle poursuivie avec une rage que son portrait fait paraître quelque peu absurde, car le visage est sensuel et dénonce une âme d’essence plus terrestre qu’éthérée. À ce portrait est attachée cette inscription, où la fureur arrive à l’insulte : « Isabelle-Cécile Huraut de Cheverny, marquise de Montglas, qui, par la conjoncture de son inconstance, a remis en honneur la matrone d’Éphèse et les femmes d’Astolphe et de Joconde. » Puis, sur la cymaise au-dessous, ces deux vers détestables, mais où l’amour perce encore sous la forme d’un regret mélancolique :

Il est bien malaisé que l’on s’aime toujours,
Cependant on a vu d’éternelles amours.

Autour de Mme de Montglas sont rangés les portraits en pied des héroïnes galantes stigmatisées de célébrité par les médisances de Bussy, avec accompagnement de devises caractérisant leurs passions et leurs aventures. Une seule est réellement épargnée, Gilonne d’Harcourt, « marquise de Piennes en premières noces, en secondes comtesse de Fiesque, femme d’un air admirable, d’une fortune ordinaire et d’un cœur de reine. » Certes l’éloge est d’un beau tour, et le portrait ne le dément pas. C’est une personne d’une noblesse parfaite, presque redoutable par une énergie calme qu’on devine formée par la combinaison de la fierté et de la raison. On n’en peut dire autant de Mme de La Baume, l’amie déloyale qui retint, copia et mit en circulation le dangereux manuscrit de l’Histoire amoureuse, personne d’une expression absolument charnelle, lardée par Bussy de cet étrange éloge que nous avons peine à comprendre autrement que dans un sens tout matériel : « la plus agréable maîtresse de France. » Mme de Sévigné est là aussi avec sa physionomie ouverte et cordiale, un peu plus ménagée qu’elle ne l’est dans l’Histoire amoureuse par son indiscret cousin; mais au milieu de ce cénacle de déesses on cherche avant toutes les autres les deux célèbres victimes de l’impertinence de Bussy. Un même compartiment réunit les portraits d’Henriette d’Angennes, comtesse d’Olonne, et de sa sœur, Mme de La Ferté, toutes deux jolies à ravir, avec cette devise sèchement brutale : a la comtesse d’Olonne,