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à cette galerie militaire. Comme ces portraits, bien que meilleurs pour la plupart que les précédens, sont cependant d’authenticité peu prouvée, nous n’en parlerions pas plus longuement, s’il ne s’y rencontrait deux œuvres hors de pair, dignes de la plus curieuse attention. L’une est un portrait par Mignard de Mme de La Sablière, dont le souvenir reste cher à tous les lettrés pour avoir été la providence de cet admirable baguenaudier de La Fontaine qui, sans elle, aurait porté souvent des habits veufs de boutons et des souliers privés de boucles. N’eût-elle pas ce titre pour mériter notre attention, l’originalité piquante de son visage et la singularité exceptionnelle de l’attitude que le peintre a choisie pour elle la lui obtiendraient aisément. Debout, vêtue d’une robe de soie bleue relevée d’or du coloris le plus heureux, les cheveux soulevés par un vent léger, le corps gracieusement penché en avant, elle court à travers les allées d’un parc, légère comme une des nymphes de Diane. Il faut voir ce charmant portrait pour comprendre comment il est possible de captiver sans vraie beauté; un attrait presque irrésistible s’échappe de chacun de ces traits, de ce visage arrondi sans trop de perfection, de ce teint blanc sans beaucoup d’éclat, de ces yeux fermes et assurés sans hauteur, de ces lèvres serrées sans dédain agressif : le tout donne l’impression d’une personne tirée par la nature d’un moule qui n’a servi qu’à elle seule, d’une rareté naturelle par conséquent, et faite pour comprendre et aimer ce qui lui est semblable, c’est-à-dire les choses rares. Le second portrait est celui de Mademoiselle, fille du régent, la future duchesse de Berry, par Coypel. Elle est encore tout enfant, enveloppée de naïveté et d’ignorance comme une rose en bouton est enveloppée de sa coque verte. Les yeux, qui s’ouvrent tout grands avec l’étonnement de l’adolescence, ont la limpidité des sources, la chair est fraîche comme le matin avant que le soleil ait monté sur l’horizon. Ce portrait de Coypel surprend presque comme une révélation par son expression virginale, tellement l’imagination s’est habituée à se créer une vision différente. Un attendrissement de nature singulière s’empare du spectateur en songeant avec quelle rapidité cette candeur va disparaître. Cette limpidité de source, comme elle va promptement tarir dans ces yeux où le feu de la fièvre va la remplacer ! Cette fraîcheur virginale, comme elle va se dessécher sous l’action du soleil caniculaire de la passion, qui va monter pour elle deux fois plus prompt, deux fois plus brûlant que pour les vulgaires mortels! Comme il sera court, l’intervalle qui séparera cette enfance pure que nous contemplons ici des emportemens sensuels de l’agonie navrante dont Duclos dans ses Mémoires sur la régence nous retrace le tableau! Et cependant si violens seront les orages qui