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elle a été épargnée par la sottise et la malice des hommes, et reste aussi intacte qu’au premier jour. Les dangers d’altérations maladroites ou d’ignorantes mutilations ne sont pas à craindre à l’heure présente pour cette page d’histoire : elle se trouve placée en des mains soigneuses, celles du propriétaire actuel, M. le comte de Sarcus, qui aime son château et en fait libéralement les honneurs aux lettrés et aux artistes. Beaucoup de ces derniers se rappelleront sans doute que ce nom de Sarcus était porté dans ces dernières années par un modeste et aimable jeune homme qu’une cruelle maladie avait privé de l’usage de ses jambes, et qui, prenant son infirmité avec la bonne humeur d’un homme bien né, signait gaîment du pseudonyme de Quillenbois de petites vignettes dans le genre de Cham. M. de Sarcus est artiste lui-même à ses heures, et c’est avec plaisir que nous avons rencontré dans la chapelle une figure de saint Jean l’évangéliste de sa composition. Cependant qu’arriverait-il, si, par un accident de transfert de propriété, ce château passait en des mains auxquelles on ne pourrait avoir la même confiance? Ce n’est pas sans crainte que nous prévoyons une possibilité de destruction ou de mutilation pour un document de cette importance, document de premier ordre et indispensable à quiconque veut pénétrer à fond le XVIIe siècle. Aussi, pour parer à ce péril, nous permettrons-nous d’indiquer deux précautions qu’on pourrait prendre dès à présent. Pourquoi ne créerait-on pas une classe particulière de monumens historiques dans la prévision d’accidens pareils à celui que nous redoutons? Pourquoi n’y aurait-il pas une classe d’édifices et de demeures qui resteraient propriété privée, mais qui, en vertu de leur caractère défini d’avance, seraient protégés par l’état contre les folies ou les brutalités de propriétaires futurs qui n’offriraient pas les garanties nécessaires de savoir et de piété historique? Si cette classe mixte de monumens historiques était créée, le château de Bussy-Rabutin devrait y occuper une des premières places. La seconde mesure est plus facile, et pourrait être prise dès maintenant par l’industrie privée. Pourquoi la librairie de luxe ne nous donnerait-elle pas une édition de l’Histoire amoureuse ornée de nombreuses gravures qui présenteraient, en guise d’illustrations, les aspects du château de Bussy et de son joli parc incliné, et reproduiraient avec exactitude les diverses décorations de l’intérieur?


EMILE MONTEGUT.