Page:Revue des Deux Mondes - 1872 - tome 101.djvu/195

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Comme vous avez l’air très bon, dit-elle, je vais vous faire la meilleure part dans le peu que j’ai à donner.

— Je ne veux rien pour moi, encore moins voudrais-je d’une préférence. Je ne me plains pas, et je ne demande rien... Je me trompe, Rita, voulez-vous m’autoriser à être témoin du bien que vous faites ici? Accordez-moi cette faveur, et je vous affirme que jamais dénûment, misère, ennuis, n’auront été pour moi plus légers à supporter.

— A quoi bon me revoir? fit-elle confuse, naïvement étonnée, ne paraissant pas comprendre le prix que j’attachais à ma demande. Cela ne changera pas la farine de manioc et le maïs que vous avez à manger en pain blanc, l’eau saumâtre de nos citernes en eau de source limpide... Pourtant, si la vue des misères de cette maison vous fait trouver moins pénible votre situation de naufragé, venez. J’ai quelques bons livres anglais et portugais; les voulez-vous? Votre séjour dans l’île ne peut être bien long; mais, quelle qu’en soit la durée, si j’ai pu vous aider à supporter un instant les horreurs de cette résidence, je serai heureuse et contente.

Je me précipitai, sans réflexion, en les baisant comme un fou, sur les petites mains de l’adorable créature, qui, tout en parlant, levait ses yeux humides vers le ciel comme pour me dire d’y chercher un secours supérieur à ceux qu’elle pouvait m’offrir. Je sentis mes larmes jaillir à flot, et prêt à s’échapper de mes lèvres un aveu brûlant. Je me contins pourtant, car il me paraissait insensé que Rita pût croire à la spontanéité de ma passion. Après avoir parcouru le logis, reçu les livres et les objets destinés à mes compagnons, je voulus encore une fois lui dire que je l’aimais : ma voix expira sur mes lèvres; par le regard que la jeune femme lança sur moi en me quittant brusquement, je compris qu’elle avait conscience des sentimens qu’elle m’inspirait. Ce regard était glacé, d’une froideur tellement calculée, que je sortis de chez da Silva pleurant comme un enfant.

Le lendemain même de cette visite et jusqu’au jour de votre arrivée, je revins à la maison du consul avec la tenace et audacieuse persistance des hommes de mon âge. Comme je ne pouvais m’y présenter que dans l’après-midi, je m’asseyais, en attendant l’heure désirée, sur le sable au bord de la mer. J’avais soin de me placer sur un point élevé de la côte d’où mes yeux pussent sans peine découvrir la demeure de ma bien-aimée. Si un instant je perdais de vue sa maison, c’était pour contempler le mouvement des vagues déferlant à mes pieds : j’entendais sortir du frémissement des flots, lorsqu’ils touchaient la grève, comme un écho confus des plaintes, des sanglots, des colères, dont mon cœur était plein. N’avais-je