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Avec l’arrivée de la belle saison et dès qu’il n’y a plus de pluies, les fièvres cessent ici comme par enchantement. Je vis tout à coup dans l’île une animation que j’étais loin de soupçonner. Un grand nombre de malades sortaient de leurs demeures guéris, avides de jouir du grand air et du soleil. Une partie de la population s’occupait de pèche, quelques hommes traçaient et creusaient des salines, d’autres allaient semer des maïs dans les rares vallées où il y a de la terre végétale. A deux kilomètres de Boa-Vista, dans l’ancienne propriété d’un médecin, j’aperçus des cocotiers superbes, des orangers, des cotonniers et de la belle canne à sucre. La vue tout à fait inattendue de cette végétation tropicale fut pour moi toute une révélation. Ce rocher, que je croyais partout inculte, pouvait donc produire de la verdure et des fruits ! On m’affirmait pourtant de tous côtés que ce beau résultat n’était pas aisé à obtenir, que dans l’île de Mayo, la plus voisine de Boa-Vista, il n’y avait qu’un seul arbre, un tamarin gigantesque. Mme d’Oliveira m’a raconté que, s’étant trouvée un jour de fête à Mayo, elle avait vu la petite colonie portugaise que le sort a jetée là se promener sérieusement en rond sous l’ombrage de l’arbre immense, mais unique. Elle y avait vu les nonchalantes créoles portugaises, des négresses en robes blanches à falbalas, des hommes en habit de ville, les fonctionnaires en brillant uniforme, jouir de cette promenade aussi satisfaits que s’ils se fussent trouvés au bois de Boulogne ou dans Hyde-Park.

Comme d’Oliveira avait deux chevaux magnifiques qu’il ne montait jamais, il m’avait autorisé, dès le premier jour, à les faire sortir à ma guise. J’aimais ces nobles bêtes, jumens arabes pleines d’ardeur, toujours avides de courir dans les dunes de la plage ou de galoper sur les crêtes escarpées des hauteurs. Je profitais largement de leurs solides jarrets pour faire des excursions dans les montagnes abruptes de l’île. Comme je voulais connaître exactement tout l’intérieur, j’avais eu soin de prévenir d’Oliveira de ne pas trop s’étonner si quelquefois il m’arrivait de faire des absences prolongées. Lorsqu’un terrain que je croyais propre à la culture s’offrait à moi, je cherchais de l’eau courante dans le voisinage, et, s’il se trouvait loin des marais, je ne l’abandonnais qu’après y avoir semé des graines intertropicales ou du midi de l’Europe.

Dans une excursion au nord de l’île, à l’opposé de Boa-Vista, à un kilomètre au plus de la mer, je découvris une vallée sauvage, étroite, véritable val d’enfer creusé au milieu d’énormes blocs de lave. Au centre même de la déchirure rocheuse courait un filet d’eau limpide et glacé. Lorsque j’y vins la première fois, un martin-pêcheur au plumage de saphir passa en sifflant sur ma tête. Un autre jour, j’y fis lever tout un vol de pintades sauvages. C’est le seul endroit de l’île où j’aie vu des oiseaux, et ce fut pour moi un indice